L’ex-vice-président de la commission Laurent, qui se prononce souvent pour dénoncer les injustices subies par les enfants vulnérables, dresse le bilan de sa longue carrière.

J’ai fait la rencontre d’André Lebon en 2019, lorsque nous avons siégé ensemble, pendant deux ans, à la Commission spéciale sur les droits des enfants et sur la protection de la jeunesse (CSDEPJ), plus souvent appelée commission Laurent, du nom de sa présidente.

Quelques semaines après la fin de nos travaux, André s’est envolé vers le Nunavik pour aller, encore une fois, tenter d’y améliorer les services en protection de la jeunesse. Faire des allers-retours dans toutes les conditions possibles, mettre en place de nouveaux services, voilà ce qui nourrit cet homme, le comble et donne un sens à sa vie.

Et quelle vie il a vécue ! Psychoéducateur depuis 1969, il a, entre autres, travaillé pour l’organisme spécialisé dans la délinquance juvénile Boscoville, rempli des mandats importants en santé mentale, auprès des Autochtones et en petite enfance. Après plusieurs années d’emplois salariés, il décide de faire le saut et de devenir, en 1986, consultant en petite enfance et adolescence. Cette nouvelle vie dure donc depuis 38 ans !

Revenu dans le Sud depuis quelques mois et poursuivant son mandat à distance et à temps partiel, André Lebon s’adapte difficilement à sa nouvelle réalité. Il me parle ouvertement de sa vulnérabilité face à son âge (75 ans, maintenant), de ses déceptions et de sa peur du vide. « Ma date de péremption arrive ! Ce phasing-out de la vie active, c’est une période difficile pour moi. »

Maintenant, comme j’ai plus de temps libre, les vieux fantômes reviennent, cette peur du vide et de l’inutilité.

André Lebon

Il trouve souffrant d’abandonner ce qui a donné tant de sens à sa vie sans trop savoir comment le remplacer. « Je sais ce que je perds, mais je ne sais pas encore trop ce que je gagne ! »

Sa carrière s’est construite sur du développement, en démarrant des projets et en fédérant les bonnes personnes pour les réaliser. « J’ai construit ma crédibilité en disant ce que je pense et en faisant ce que je dis. J’ai eu la chance de réaliser de nombreux projets concrets et de le faire avec beaucoup de gens d’exception. Je me considère comme privilégié. »

En revenant sur le rapport de notre commission d’enquête de 2021, à la suite de la mort de la fillette de Granby1, il admet être déçu de l’application diluée de plusieurs mesures qui touchent la gouvernance de la protection de la jeunesse et il appelle encore de tous ses vœux des états généraux sur la situation des centres jeunesse, sans compter l’urgence de moderniser plusieurs infrastructures.

Il ajoute : « Je finis ma carrière comme Michel Chartrand, en criss ! » Il a l’impression que les rapports qu’il a rédigés dans des dossiers psychosociaux depuis 40 ans se répètent, sans que les autorités mettent en place les mesures qui s’imposent. Selon lui, l’important virage prévention-promotion et le travail en première ligne tardent toujours à être implantés et financés correctement.

PHOTO FRANCOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

André Lebon, durant les audiences de la commission Laurent, en mai 2020

Il revient sur les trois rapports qu’il a rédigés depuis 25 ans pour répondre à des demandes politiques et il conclut : « Ce sont les trois fois où je me suis fait faire le plus mal parce que les attentes d’améliorer les situations étudiées étaient élevées, mais les résultats n’ont pas été au rendez-vous. »

André Lebon se sent actuellement comme un lanceur d’alerte.

Il y a en moi un côté rassembleur et je ne suis pas à l’aise dans ce rôle de lanceur d’alerte parce que je ne suis pas quelqu’un qui mord les chevilles, je suis quelqu’un qui construit. Mais il y a des réalités qu’il faut dire, qu’il faut expliquer.

André Lebon

« Quand je te dis que je suis aigri, ça vient avec une certaine colère. Je n’ai plus de souffle et j’ai moins de patience. » Il n’a de cesse de répéter aux décideurs qu’ils ne sont pas en train de mettre en œuvre les changements proposés. « J’ose encore penser que prendre la parole peut faire une différence et je le souhaite, mais si ça ne se passe pas et que je finis par me taire, le regard que je vais poser sur mes 55 ans de travail professionnel sera de me dire : moi, j’aurai connu une meilleure époque, celle où l’on pouvait faire une différence pour les enfants, où des projets se sont réalisés. » Il rappelle que les employés de la Protection de la jeunesse étaient, il y a quelques années, fiers du travail qu’ils accomplissaient. Plus maintenant.

Selon lui, notre système de protection universelle est devenu incapable de répondre à la demande. Il a la triste impression que nous sommes en train de dilapider un actif social québécois parce qu’on n’a probablement plus les moyens de nos ambitions.

On pourra reprocher à André Lebon la sévérité de ses constats, son intransigeance par rapport à l’avenir, une certaine nostalgie d’interventions plus efficaces auprès des enfants. Mais jamais on ne pourra lui tenir rigueur de son authenticité et de sa totale implication dans les causes qu’il a défendues. Il a l’impression de terminer sa carrière sur des notes décevantes, mais l’avenir nous confirmera que son legs va lui survivre, tant pour les jeunes du Nord que du Sud, tant pour la petite enfance au Québec que pour les enfants vulnérables et les adolescents en centre jeunesse.

Que voudrait-il voir inscrit comme épitaphe sur sa tombe ?

« Je me suis levé tous les matins en pensant que je pourrais faire une différence. » On peut le rassurer, André Lebon ne s’est pas levé en vain.

1. Lisez l’article « Tragédie de Granby : des signaux d’alerte quatre ans avant le drame » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue