Des personnes qui font la file pendant des heures pour obtenir du pain. Des magasins complètement vides. Des femmes enceintes, des enfants et des aînés qui s’évanouissent pour cause de malnutrition. Des coupures d’électricité, des pénuries de nourriture, de lait pour nourrissons, de produits d’hygiène, de carburant et de médicaments.

Dans l’indifférence de la communauté internationale, les 120 000 Arméniens peuplant le Haut-Karabakh (aussi appelé Nagorno-Karabakh ou République d’Artsakh) sont actuellement à haut risque de famine, voire de nettoyage ethnique. Selon un rapport récent publié par Luis Moreno Ocampo, ancien procureur de la Cour pénale internationale, « il existe une base raisonnable pour croire qu’un génocide est en train d’être commis contre les Arméniens vivant dans le Haut-Karabakh en 2023 ».

Si la situation humanitaire au Haut-Karabakh est catastrophique, elle était pourtant prévisible puisque plusieurs experts, organisations internationales ainsi que les communautés arméniennes à travers le monde sonnent l’alarme depuis déjà huit mois.

Le blocage du corridor de Latchine

Soutenu par l’Arménie, le Haut-Karabakh est une enclave majoritairement peuplée d’Arméniens, mais située, en vertu du droit international, en Azerbaïdjan. Les différends sur le statut de cette région remontent à l’ère soviétique, mais se sont intensifiés avec la chute de l’Union soviétique et la première guerre du Haut-Karabakh (1988-1994).

L’État sécessionniste autoproclamé indépendant – qui n’est pas reconnu par la communauté internationale – est plongé dans un conflit diplomatiquement « gelé » depuis des décennies malgré plusieurs tentatives de paix sous l’égide de la Russie et, plus récemment, de l’Union européenne et des États-Unis. Depuis la guerre et le cessez-le-feu de 2020, les tensions entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan demeurent vives et des affrontements meurtriers aux frontières sont réguliers.

Une nouvelle dimension s’est ajoutée au conflit lorsque l’Azerbaïdjan a fermé en décembre 2022 le corridor de Latchine, seule route qui connecte cette région séparatiste à l’Arménie et, par extension, au reste du monde.

Bien que Bakou, soutenu par la Turquie, nie ces faits, plusieurs experts de l’ONU ont exprimé au courant de l’année de sérieuses inquiétudes quant au blocage de cette route névralgique.

PHOTO KAREN MINASYAN, AGENCE FRANCE-PRESSE

L’Azerbaïdjan a fermé en décembre 2022 le corridor de Latchine.

Sous le regard passif des soldats « de paix » russes et malgré plusieurs tentatives vaines de l’Arménie d’acheminement d’aide humanitaire par camions, la région demeure bloquée par l’Azerbaïdjan depuis huit mois sous divers prétextes, en dépit de plusieurs appels de la communauté internationale et d’une ordonnance de la Cour internationale de justice. Le passage de certains civils et des biens de première nécessité au Haut-Karabakh n’est possible que grâce à l’accès – quoique partiel et insuffisant – du Comité international de la Croix-Rouge.

Depuis la défaite militaire écrasante de l’Arménie durant la guerre de 2020, le blocage intentionnel du corridor de Latchine par le régime autocratique d’Ilham Aliyev est une tactique délibérée pour terroriser les Arméniens, les « étouffer » et les forcer à négocier, selon les conditions imposées par l’Azerbaïdjan. Or, dans ce contexte hostile, les perspectives d’une paix durable pour le Haut-Karabakh demeurent extrêmement minces.

Prévenir un deuxième génocide arménien

Le 16 août dernier, le Conseil de sécurité des Nations unies s’est réuni à la demande de l’Arménie pour faire le point sur la situation humanitaire qui se détériore de jour en jour. Cependant, ces efforts sont trop peu et trop tard, car un premier décès par inanition a déjà été répertorié le 15 août dernier par le Bureau du défenseur des droits de l’homme du Haut-Karabakh.

Depuis huit mois, les institutions médicales et d’éducation sont fragilisées ou ont cessé de fonctionner complètement, privant ainsi toute une population de besoins et de services primaires dans une prison à ciel ouvert.

Alors que la communauté internationale a les yeux rivés sur l’Ukraine depuis plus d’un an, il ne faut toutefois pas oublier de regarder plus à l’est et se pencher sur les dommages collatéraux que l’invasion russe de l’Ukraine entraîne aussi dans le Caucase du Sud.

Quelles que soient les implications géopolitiques en jeu, les pays occidentaux doivent faire plus pour sanctionner l’Azerbaïdjan et protéger les Arméniens du Haut-Karabakh. En tant qu’humanité, nous ne pouvons pas laisser un autre génocide arménien se produire sous nos yeux.

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