Les récentes déclarations portant sur l’hypothèse du recours possible à l’énergie nucléaire pour faire face à la demande présente et future en électricité ont suscité plusieurs réactions. Les signataires de ce texte croient que l’énergie nucléaire peut jouer un rôle important dans la génération d’électricité à basse teneur en carbone et qu’il serait donc justifié d’évaluer cette hypothèse.

Une lecture réaliste de la situation climatique, des besoins énergétiques et de l’état de la technologie nous conduit à conclure que la technologie nucléaire peut être exploitée de façon sécuritaire tout en stabilisant l’infrastructure énergétique, de façon que le Québec demeure la « batterie de l’Amérique », une ambition maintes fois répétée par Robert Bourassa et ses successeurs.

Contexte historique

La recherche nucléaire au Canada connaît ses débuts en 1942 à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal qui abrite alors un centre de recherche nucléaire où ont travaillé quelques-uns des plus brillants esprits de leur temps afin de construire le premier réacteur atomique au Canada. Peu après, le Canada construit le premier réacteur nucléaire à l’extérieur des États-Unis et met au point la technologie CANDU qui fournit aujourd’hui 60 % de l’électricité en Ontario et est utilisée dans plusieurs pays du monde sans avoir connu le moindre accident.

De plus, le Canada continue de promouvoir l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire conformément à ses obligations en vertu des accords portant sur la non-prolifération des armes nucléaires, faisant de notre pays un membre respecté de la communauté internationale.

La question nucléaire refait surface au Québec au début des années 1970 lorsque la crise pétrolière oblige le Québec à orienter son avenir énergétique. D’un côté, le premier ministre Robert Bourassa fait la promotion de l’hydroélectricité tandis que d’autres préconisent plutôt la filière nucléaire.

Le premier ministre Bourassa choisit l’hydroélectricité tout en gardant la porte entrouverte pour le nucléaire avec le projet Gentilly. Cette décision historique conserve aujourd’hui toute sa pertinence.

Elle entraînera une accélération soutenue du développement du Québec, la croissance d’Hydro-Québec (fondée antérieurement par Adélard Godbout) et le développement d’une expertise considérable à la suite de la nationalisation de l’électricité accomplie par le tandem Lesage-Lévesque.

Aujourd’hui, les données et projections récentes sur la demande en énergie verte pour les prochaines décennies, l’échéance en 2041 du contrat de Churchill Falls, les changements en cours sur notre principal marché d’exportation (les États-Unis), la nécessité de conserver notre niveau d’émission de gaz à effet de serre doivent nous mener à une évaluation profonde de l’option nucléaire, basée sur les données probantes et les avis d’experts plutôt que sur des notions datant d’une époque où cette option était moins développée qu’elle ne l’est aujourd’hui, notamment sur les questions de sécurité et de traitement des déchets radioactifs.

Pour un Québec toujours prospère grâce à son énergie propre

Pour faire la lumière sur un rôle potentiel de l’énergie nucléaire au Québec, nous proposons des études et des évaluations basées avant tout sur la science, essentielles pour arriver à la bonne décision. Il est donc impératif que la décision soit prise une fois que les études sont terminées, présentées et discutées dans un forum approprié.

Le « quantum » d’électricité supplémentaire à produire (100 TWh, selon les récentes communications du gouvernement et d’Hydro-Québec) doit être confirmé selon plusieurs scénarios qui doivent inclure ce qu’il est réaliste d’espérer des efforts d’efficacité énergétique et des sources renouvelables.

En conséquence, la tenue d’une commission d’enquête ayant comme mandat d’obtenir des connaissances sur la question dont le rapport sera soumis au débat public s’impose à cet égard. Le réseau électrique doit avoir une fondation solide : un approvisionnement de base constant, fiable, sobre en émissions de carbone et sécuritaire.

Pour ce faire, deux solutions doivent être comparées : de nouvelles installations hydroélectriques de grande envergure, dans le cadre d’un partenariat véritable (avec prise de participation) avec les Premières Nations et la génération nucléaire par fission au moyen de réacteurs de grande capacité étant donné le manque de maturité de la technologie des petits réacteurs modulaires.

Dans les deux cas, les délais seront importants, les coûts élevés et les scénarios financiers devront être comparés avec rigueur.

Ces comparaisons devront inclure les coûts de production et de transmission de l’énergie produite, ces derniers étant tributaires de la distance entre le site de production et les consommateurs. Et, bien sûr, l’inaction comporte elle aussi un coût financier et économique considérable.

L’impact du caractère intermittent de la production issu de sources renouvelables (éolien, solaire) avec stockage devra également être évalué, de même que l’opportunité de développer la géothermie. Il est exact de mentionner que l’énergie nucléaire comporte aussi un caractère intermittent compte tenu des périodes d’interruption de production pour entretien périodique.

Cependant, dans l’état actuel des choses, les sources d’énergies renouvelables intermittentes ne seront pas en mesure de garantir la sécurité et la constance de l’approvisionnement en électricité.

Afin de pousser la réflexion encore plus loin, nous devons aussi nous montrer ouverts aux nouvelles technologies nucléaires en notant qu’une nouvelle génération de réacteurs est actuellement déployée.

De plus, la réfection de Gentilly-2 ne doit pas être le seul scénario étudié : un autre site, un projet conjoint avec les provinces maritimes (par exemple) pourraient être d’autres pistes à explorer.

Bien sûr, le traitement des déchets radioactifs est un enjeu crucial et doit être étudié en profondeur, mais il est important de noter qu’on voit se développer de nouvelles technologies qui permettent de recycler le combustible nucléaire irradié comme cela se fait déjà en Europe et au Japon.

Il existe également de nouvelles technologies de fission qui méritent d’être étudiées : réacteurs à neutrons rapides, refroidissement par sels fondus (thorium et autres), avantageux et efficaces sur le plan de l’utilisation du combustible. La fusion est aussi une technologie très prometteuse, mais elle ne sera vraisemblablement pas mise au point à un niveau industriel avant des décennies.

Entre-temps, le Québec fait face à des pénuries énergétiques à court, moyen et long terme et doit dès maintenant faire des choix appropriés.

Nous saluons donc la décision d’Hydro-Québec d’ouvrir la porte à une réflexion sur la technologie nucléaire comme élément de solution pour répondre aux besoins d’énergie d’aujourd’hui et de demain dans le contexte de la crise climatique. Comme d’autres, nous croyons qu’il serait irresponsable de ne pas étudier sérieusement cette question cruciale pour notre avenir.

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