Plusieurs personnalités affirment vouloir défendre le caractère public de notre système de santé afin d’assurer le droit à la santé et la qualité et l’universalité des soins. Elles confondent ce faisant l’objectif que représente le droit aux soins de santé pour tous et la mise en œuvre des moyens d’y arriver. Et elles propagent la confusion des rôles respectifs des différentes parties prenantes.

Ainsi, le caractère universel du système de santé n’exige aucunement que la prestation des soins soit assumée par un quasi-monopole gouvernemental, légalement protégé contre toute concurrence potentielle. Au Canada, ce quasi-monopole fait en sorte que nos systèmes de santé souffrent cruellement de la puissance de groupes d’intérêts politiques, professionnels, corporatistes et syndicaux qui freinent la recherche efficace des meilleures pratiques et la véritable reddition de comptes, et ce, au détriment des citoyens, tant patients que contribuables.

De multiples facteurs peuvent influencer leurs structures, leurs coûts et leurs résultats⁠1. Des facteurs sociaux, politiques, économiques et culturels doivent être pris en compte. Raquel Fonseca (UQAM), Pierre-Carl Michaud (HEC Montréal) et leurs coauteurs ont montré dans une récente publication⁠2 que les différences dans les parts des dépenses de santé dans le PIB et dans les niveaux de santé des citoyens entre les États-Unis et l’Europe s’expliquent en grande partie par des différences marquées dans les facteurs de risque, exogènes en bonne partie.

Les soins de santé couverts dans les régimes publics varient entre pays et régions, et plusieurs soins en sont exclus.

Mais, selon les données de l’OCDE, la part de l’ensemble des coûts de santé, tous soins compris, assumée par les patients au-delà des couvertures d’assurance publique et privée, a atteint, pour la période 2016-2022, 9,3 % en France, 12,5 % en Allemagne, 13,3 % au Danemark, 22,7 % en Italie, 13,6 % en Suède, 15 % au Canada, 14,2 % au Royaume-Uni et 11,1 % aux États-Unis.

À l’instar des pratiques au cœur de quasiment tous les domaines de notre vie publique et privée, deux éléments sont primordiaux : d’abord la clarification des rôles respectifs des citoyens-consommateurs, des citoyens-fournisseurs et des gouvernements (réglementation, protection et surveillance), et ensuite la mise en concurrence des producteurs et fournisseurs de biens et services.

La réforme en santé à entreprendre aujourd’hui doit réaffirmer la poursuite du véritable idéal social-démocrate qui repose non pas sur un ensemble de structures, mais sur un ensemble de services aux citoyens (éducation, santé et sécurité sociale).

Éliminer les conflits d’intérêts

Elle doit réaffirmer que le contenu du panier public de soins de santé doit relever des gouvernements élus et être principalement financé par les impôts de l’ensemble des contribuables individuels et corporatifs. Mais elle doit éliminer les conflits d’intérêts qui apparaissent lorsque le concepteur du panier public de soins, le fournisseur des soins, et l’évaluateur de la qualité des soins relèvent tous de la même autorité (secteur gouvernemental).

Quant à la fourniture des biens et services de santé couverts par le régime public, elle doit, dans le respect de l’idéal social-démocrate, reposer sur des organisations et entreprises d’économie sociale, coopératives et corporatives, à but lucratif ou non, capables de fournir les soins désirés, de répondre à des appels d’offres en ce sens, et d’assumer des contrats incitatifs fondés sur des résultats aussi rigoureusement mesurés que possible et conclus avec les instances gouvernementales responsables.

Autonomes et indépendantes, ces organisations et entreprises, composées de citoyens et de personnels de soins, de gestion et de soutien, devraient pouvoir contester et remplacer le cas échéant les organisations prestataires en place si elles peuvent démontrer pouvoir faire mieux. Cela favorisera l’émergence des formes d’organisation les plus efficaces et efficientes grâce à la mise en concurrence des fournisseurs. C’est ce qu’on pratique dans presque tous les domaines de notre vie publique et privée. Pourquoi pas en santé, comme c’est le cas dans plusieurs pays ?

Un élément important du débat sur le privé en santé est le développement international des groupes privés à but lucratif.

Le cas de Ramsay Santé est éloquent. Sous contrôle franco-australien, ce groupe est devenu un leader en Europe (France, Suède, Norvège, Danemark, Italie) en gestion et prestation innovatrices de soins hospitaliers au sein des services publics de santé⁠3. À partir de leur base nationale respective, les composantes du groupe ont pu exporter leur expertise dans d’autres pays. On peut penser qu’il en serait éventuellement de même pour nos entreprises canadiennes en soins publics de santé, pour autant qu’on leur donne le droit d’exister et de pouvoir témoigner de leur compétence et capacité d’innovation, et ce, au bénéfice non seulement des Canadiens et Québécois, mais aussi de nos concitoyens étrangers.

1. Lisez une caractérisation du système de santé américain, souvent décrié dans ces comparaisons 1. Lisez le rapport « Mirror, Mirror 2021 : Reflecting Poorly » (en anglais) où le Canada et les États-Unis arriveraient en queue de peloton de 11 pays développés

On oublie que le Canada et les États-Unis sont deux pays où la responsabilité de la santé incombe d’abord aux 60 gouvernements locaux (10 provinces et 50 États, avec un rôle limité et contraint des gouvernements nationaux), une source non négligeable de défis.

2. « Understanding Cross-Country Differences in Health Status and Expenditures : Health Prices Matter », Journal of Political Economy, August 2023

3. Consultez le site de Ramsay Santé Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion