Vapotage, santé psychologique, faible attrait pour l’école : à plusieurs égards, les signaux en provenance des écoles secondaires publiques sont plus inquiétants qu’au privé, révèle l’Enquête sur la santé psychologique des 12-25 ans, menée dans quatre régions du Québec.

« Les écarts entre le privé et le public sont frappants, non seulement pour ce qui est de la santé psychologique, mais aussi de la consommation de substances (par exemple, le vapotage) et de la motivation scolaire », souligne la Dre Mélissa Généreux, professeure à la faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke et responsable de l’enquête.

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La Dre Mélissa Généreux, professeure à la faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke

Interrogés sur leur usage d’une cigarette électronique ou vapoteuse dans le mois précédent, deux fois et demie plus d’élèves du public ont répondu par l’affirmative (22 %, contre 9 % au privé).

Les idées noires récentes (avoir pensé qu’on serait mieux mort ou pensé à se blesser soi-même dans les deux dernières semaines) étaient aussi plus répandues chez les élèves du public (28 %, contre 22 % au privé). Manifester un faible attrait pour l’école (niveau sous la moyenne) était également plus fréquent au public (28 %) qu’au privé (19 %).

La consommation excessive d’alcool (cinq verres ou plus en une même occasion au moins une fois par mois) était aussi un peu plus répandue chez les élèves du public (13 %, contre 9 % au privé).

Les données ont été recueillies en janvier 2023 dans 64 établissements de l’Estrie, des Laurentides, de la Mauricie–Centre-du-Québec et de la Montérégie. Plus de 85 % des 17 708 participants étudiaient dans une école secondaire (83 %) ou dans un centre de formation professionnelle ou aux adultes (3 %).

« On marche sur des œufs »

Les résultats diffusés en février dernier montraient que dans l’ensemble, la santé des jeunes demeurait fragile au sortir de la pandémie, et que les symptômes d’anxiété et de dépression modérés à sévères étaient plus présents chez les filles. Les écarts entre les résultats des établissements publics et privés n’avaient toutefois pas été mis de l’avant.

« On marche sur des œufs parce qu’en aucun cas, je ne voudrais qu’on creuse le fossé qui existe entre les deux en dépeignant un portrait négatif [des écoles publiques] », a expliqué la médecin de santé publique Mélissa Généreux à La Presse.

Je n’ai rien qui me permette d’avancer que les écoles publiques contribuent à détériorer le bien-être, au contraire, je pense qu’elles font vraiment du mieux qu’elles peuvent, et que c’est plutôt la sélection à la base qui vient créer ces écarts.

Mélissa Généreux, professeure de médecine et des sciences de la santé

L’enquête reflète simplement le fait que le niveau socio-économique des élèves est, « en moyenne », plus élevé dans les écoles privées, et que des jeunes ayant « de plus forts niveaux scolaires » y sont sélectionnés à l’admission, estime la chercheuse.

« Les gens qui naissent dans des familles plus aisées ont plus de chances de rester dans ces rangs-là en accédant à une éducation avec une concentration de gens du même niveau socio-économique et scolaire. Et les gens qui, au contraire, viennent de familles moins aisées ont plus de chances de se retrouver dans des écoles publiques avec une concentration de jeunes qui, en moyenne, peuvent avoir plus de difficultés. »

Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, avait pourtant déclaré en mai dernier, à propos de cette notion d’école à trois vitesses : « Ce n’est pas une grille d’analyse à laquelle j’adhère. »

« J’aimerais qu’il puisse interpréter les données que j’ai sous les yeux », glisse la Dre Généreux.

Si ces résultats peuvent contribuer à renforcer le message qu’on devrait avoir un système d’éducation plus égalitaire, je serai bien contente.

Mélissa Généreux, professeure de médecine et des sciences de la santé

« Nous sommes aussi conscients qu’il y a une augmentation d’élèves avec des plans d’intervention, qui peuvent être en difficulté ou en trouble d’apprentissage dans le réseau public », nous a-t-on indiqué au cabinet du ministre Bernard Drainville, en rappelant que 3,4 milliards de dollars avaient été investis dans la dernière année pour soutenir les élèves en difficulté. Ces services « par le personnel de soutien et les professionnels […] doivent être accessibles pendant les heures régulières et directement à l’école », écrit l’attachée de presse de M. Drainville, Florence Plourde.

Le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, a aussi fait « plusieurs gestes » pour la santé des jeunes, fait-on valoir. Parmi ceux-là, les sites Aires ouvertes, qui offrent notamment « un accès gratuit et sans rendez-vous à des services en santé mentale » (20 millions de dollars récurrents), et « deux projets de promotion et de prévention en santé mentale et de prévention des dépendances » (30 millions).

Fossé reconnu

Le fossé entre les élèves du public et du privé a été mis en lumière par d’autres sources, rappelle la Dre Généreux, en citant notamment l’écart grandissant aux examens ministériels1.

Une étude réalisée au printemps 20202 a aussi constaté des iniquités dans l’enseignement à distance au début du confinement, parce que des élèves du secondaire public n’avaient pas accès à des ordinateurs et à des tablettes électroniques, signale-t-elle.

L’éducation est reconnue comme l’un des plus importants déterminants sociaux de la santé, rappelle la chercheuse en santé publique.

« Si on ne travaille pas sur les déterminants qui causent la maladie ou créent de la santé, on va laisser la santé des gens se détériorer par du vapotage, ou par de la détresse psychologique au secondaire qui va peut-être se transformer par la suite en dépression plus sévère ou en mauvais choix de vie, dit-elle. Et tranquillement, la personne prend une trajectoire qui n’est pas à la hauteur de celle qu’elle aurait pu avoir, développe plein de problèmes de santé et nécessite beaucoup de soins. »

« Moi, ce que je veux, c’est que chaque jeune puisse avoir une certaine égalité des chances », lance la Dre Généreux.

« Tous les jeunes devraient avoir la chance d’accéder à une éducation qui leur permette d’aspirer à une vie compatible avec leurs intérêts, leurs compétences, [plutôt que déterminée par] le revenu de leurs parents. »

1. Lisez « Le fossé se creuse entre le public et le privé » 2. Consultez l’étude « “It reflects the society in which we live, except now everything is accentuated” : youth, social inequities, and the COVID-19 pandemic » (en anglais) Consultez le rapport « Enquête sur la santé psychologique des 12-25 ans »