L’écart de réussite entre les élèves du public et du privé aux examens ministériels du secondaire est à son sommet en cinq ans, révèlent des chiffres obtenus par La Presse. Et malgré des examens ajustés, le taux de réussite des élèves québécois est en baisse par rapport à ce qu’il était avant la pandémie.

La Presse a obtenu les plus récents résultats des élèves aux examens obligatoires du ministère de l’Éducation, passés le printemps dernier.

L’écart de réussite entre les élèves du public et du privé, qui s’était réduit pendant la pandémie, est à son sommet depuis cinq ans. En 2022, les élèves qui fréquentaient le réseau public ont réussi les examens dans une proportion de 86,7 % et ceux du réseau privé, de 96,5 %.

« C’est énorme », dit Nicole Monney, professeure au département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Chicoutimi.

« Le réseau privé réussit toujours mieux. L’une des raisons, c’est que dans certaines écoles privées, les élèves sont sélectionnés à l’entrée, donc on a des élèves qui ont plus de facilité », dit Mme Monney, qui estime « qu’il y a une réflexion à avoir par rapport à ça ».

Pas nouveau

L’écart entre les élèves du privé et du public est « un classique », rappelle Égide Royer, professeur à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval.

Et encore, dit-il, cette seule distinction entre le privé et le public ne montre pas tout. « Vous pourriez avoir un triple écart : le réseau privé et le réseau public divisé en deux, soit public particulier et public ordinaire », explique M. Royer.

Il fait ainsi référence à de nombreux programmes particuliers dans les écoles publiques, qui sélectionnent eux aussi les élèves sur la base de leurs performances scolaires.

Le professeur croit que « les planètes sont alignées » pour que le gouvernement se penche sérieusement sur la question de l’écart entre les différents réseaux. « C’est certainement un dossier important sur le bureau du ministre [de l’Éducation, Bernard Drainville] », dit M. Royer, qui croit que « toutes les écoles doivent se préoccuper de tous les jeunes ».

« Maintenons le privé, maintenons les projets particuliers, mais cessons de discriminer », dit M. Royer, qui souhaite que toutes les écoles aient « une proportion normale, naturelle, de jeunes en difficulté ».

« Actuellement, ces jeunes sont concentrés dans les écoles ordinaires. Les classes sont obligées de baisser les attentes, les parents ne veulent plus envoyer leurs enfants dans ces classes-là », poursuit Égide Royer.

Des élèves qui n’ont pas le même parcours scolaire

La semaine dernière, le député caquiste de Vanier–Les Rivières, Mario Asselin, a remis en doute le fait qu’il y a une « sélection des élèves » par les écoles privées, disant qu’il s’agit plutôt d’une « procédure d’admission ».

« Cette idée reçue qu’il y aurait “sélection des élèves” dans les établissements d’enseignement privé au Québec est un des mythes les plus persistants. Ça constitue une fausse prémisse répandue sur le modèle d’enseignement au Québec », a écrit M. Asselin sur le réseau social Twitter.

À la Fédération des établissements d’enseignement privés (FEEP), on croit pourtant que la « sélection des élèves » peut expliquer en partie l’écart de réussite entre les élèves du réseau public et du réseau privé aux examens du Ministère.

« Il y a encore des écoles [privées] qui font de la sélection par les notes, comme il y a des programmes particuliers au public qui le font, mais la majorité des écoles ne font pas de sélection par les notes », dit son président, David Bowles, qui ajoute néanmoins que les familles qui choisissent l’école privée font « un investissement financier ».

Je suis conscient que ce ne sont pas toutes les familles qui ont les moyens de [choisir l’école privée].

David Bowles, président de la Fédération des établissements d’enseignement privés

Le président de la FEEP avance que l’écart de réussite entre les élèves des deux réseaux s’explique surtout par le fait que ceux qui fréquentent les écoles privées vont, en grande majorité, poursuivre leurs études au collégial.

Les établissements privés, explique David Bowles, « n’ont pas accès au permis » pour accueillir à la fois des élèves en adaptation scolaire et des élèves du « régulier », ni des élèves de la formation professionnelle. Lui-même dit avoir tenté d’obtenir la permission du ministère de l’Éducation pour admettre des élèves en adaptation scolaire au collège qu’il dirige sur la Rive-Sud de Montréal, sans succès.

Un taux de réussite globalement plus faible

En comparant les résultats de 2019 (avant la pandémie) à ceux de 2022, on constate que tous élèves confondus, le taux de réussite aux examens du Ministère a légèrement fléchi, passant de 89,2 % à 88,7 %.

Or, l’an dernier, les examens de Québec ont été basés sur des savoirs dits « prioritaires ».

« À partir de la pandémie, le ministre a dit : on va nettoyer la liste de tout ce qu’il y a à savoir au secondaire », rappelle Nicole Monney, professeure au département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Chicoutimi. Cet élagage s’est répercuté dans le contenu des examens ministériels.

Les examens du Ministère ont été annulés en 2020 et en 2021. En 2021, « la note finale attribuée aux cours a été calculée uniquement à partir des résultats obtenus à l’école. Aucune modération n’a donc pu être appliquée », explique Bryan St-Louis, porte-parole du ministère de l’Éducation.

C’est ce qui explique que pendant cette période, les taux de réussite ont bondi, allant jusqu’à atteindre 90,3 % dans le réseau public et 97,8 % dans le réseau privé en 2021.

« Selon toute probabilité, cette augmentation est liée au fait qu’on n’a pas passé d’examens ministériels. Les évaluations se sont faites à l’intérieur des classes et les enseignants ont évalué ce qu’ils ont enseigné », dit Égide Royer, qui relève que les taux de réussite ont augmenté malgré de nombreuses semaines d’école à distance.

Les plus récents résultats des élèves du secondaire montrent en outre qu’entre les garçons et les filles, l’écart de réussite aux examens ministériels ne se réduit pas au fil des années. En 2022, 90,6 % des filles ont passé avec succès ces examens, contre 86,6 % des garçons.

« Il n’y a pas de différence énorme sur les taux de réussite, mais il y a des différences énormes quant aux taux de diplomation », observe Égide Royer. Pour la cohorte 2014, 86,8 % des filles ont obtenu leur diplôme d’études secondaires après sept ans, contre 77,6 % pour les garçons.

En savoir plus
  • 50 %
    Pondération des épreuves en quatrième et cinquième secondaire avant la pandémie
    Source : ministère de l’Éducation
    20 %
    Pondération des épreuves en quatrième et cinquième secondaire en 2022
    Source : ministère de l’Éducation
  • 24 %
    Proportion des élèves du réseau privé qui ont des plans d’intervention ou des troubles d’apprentissage
    Source : Fédération des établissements d’enseignement privés