À partir du 1er juin 2025, il sera interdit d’employer seule une marque de commerce dans une langue autre que le français, à moins que celle-ci ne soit enregistrée et qu’aucune version française équivalente ne figure au registre des marques. Cela découle des amendements à la Charte de la langue française apportés par la « loi 96 ».

Le problème ? Les délais pour enregistrer une marque au Canada sont catastrophiques.

Le résultat ? Des entreprises ne pourront bientôt plus utiliser leur marque non enregistrée sans l’accompagner d’une traduction française au Québec, même si elles ont été diligentes, à défaut de quoi elles s’exposent à des milliers de dollars d’amende. Cela s’applique tant aux entreprises québécoises qu’aux entreprises canadiennes et étrangères.

Que faire si cela vous touche ? Déposer une demande d’enregistrement dès que possible, même s’il est probablement déjà trop tard⁠1.

Qu’est-ce qu’une marque « dans une langue autre que le français » ?

Nous n’avons pas encore de guides clairs à savoir ce qu’est « une marque dans une langue autre que le français », mais si on se fie à ce qui a été décidé par rapport aux noms d’entreprise, on peut comprendre que cela inclurait :

  • les mots du dictionnaire tirés d’autres langues (ex. : Canadian Tire, Lightspeed, Goodfood) ;
  • les mots composites, mal orthographiés ou inventés faisant référence à une autre langue (ex. : Ubisoft, Hardbacon, Walmart, Facebook) ;
  • les sigles et acronymes faisant référence à des termes tirés d’autres langues (ex. : BRP pour « Bombardier Recreational Products » ou CAA pour « Canadian Automobile Association »).

Les combinaisons artificielles de lettres, de syllabes ou de chiffres, ou l’utilisation de pictogrammes, de chiffres ou même de sigles seraient encore acceptables, dans la mesure où elles ne sont pas tirées d’une autre langue.

Un Bureau des marques de commerce congestionné

Le Bureau des marques de commerce du Canada se démarque sur le plan international par sa lenteur. Ailleurs dans le monde, il est généralement possible d’obtenir un enregistrement de marque dans un délai allant de quelques mois à un an. Au Canada, quand tout va pour le mieux (pas d’objection ou d’opposition), cela prend un peu moins de trois ans si on emprunte la « voie rapide » offerte par le Bureau des marques, et un peu moins de cinq ans si on doit prendre la « voie ordinaire » ⁠2. Il est possible de demander un examen accéléré pour aller encore plus vite dans quelques situations précises, mais le Bureau des marques n’a pas confirmé que le fait d’être touché par les changements à la Charte de la langue française serait un motif accepté.

Les plus fins observateurs auront noté que si une entreprise voulait se conformer aux changements à la loi à temps, elle aurait dû s’y prendre il y a au moins un an.

Même une entreprise diligente qui avait fait une demande d’enregistrement deux ans avant que les amendements à la Charte de la langue française ne soient adoptés risque de ne pas avoir son enregistrement à temps pour le 1er juin 2025, si elle n’a pas accès à la « voie rapide » et doit se contenter de la « voie ordinaire ».

Avant les amendements à la Charte, il était permis d’employer une marque de commerce dans une langue autre que le français sans que celle-ci ait besoin d’être enregistrée, tant qu’aucune version française n’était enregistrée.

Conséquences fâcheuses et amendes élevées

Cette situation touche démesurément les jeunes entreprises, les PME et les entreprises moins sophistiquées qui n’ont pas pu prendre les mesures appropriées à temps. Rappelons que les amendes pour une violation de la Charte de la langue française sont de 700 $ à 7000 $ pour une personne physique et de 3000 $ à 30 000 $ dans les autres cas.

En pratique, cela signifie qu’une entreprise qui souhaite utiliser seule une marque dans une langue autre que le français au Québec devra s’y prendre au moins trois ans à l’avance (à moins que les délais au Bureau des marques ne s’améliorent). Comme ce n’est pas réaliste pour la plupart des projets d’affaires d’attendre aussi longtemps, les entreprises opérant au Québec devront donc se tourner quasi exclusivement vers des marques en français ou des termes inventés qui ne font référence à aucune autre langue.

Cela s’applique également à toute entreprise établie hors du Québec qui souhaiterait faire des affaires au Québec⁠3.

Il s’agit d’un irritant additionnel qui s’ajoute à la panoplie d’autres obligations imposées par la nouvelle mouture de la Charte de la langue française, et qui explique pourquoi de plus en plus d’entreprises tournent le dos au Québec.

Nous ne savons pas si ces conséquences reflètent précisément l’objectif du législateur, ou si elles font plutôt état d’une méconnaissance profonde de la réalité de l’enregistrement des marques de commerce au Canada.

Que faire si cela vous touche ?

Même si les délais demeurent épouvantables, et que les chances d’obtenir un enregistrement avant le 1er juin 2025 ne sont pas excellentes, nous recommandons tout de même de déposer une demande d’enregistrement dès que possible à quiconque emploie déjà ou compte employer une marque dans une langue autre que le français.

Avec un peu de chance, vous passerez sous le radar de l’Office québécois de la langue française assez longtemps pour obtenir votre enregistrement, même si c’est après l’entrée en vigueur des amendements à la Charte de la langue française. On ne peut pas non plus exclure que le Bureau des marques de commerce offre éventuellement un examen accéléré aux requérants touchés par les amendements à la Charte, ou que le délai du 1er juin 2025 soit repoussé. Il arrive aussi parfois que des demandes soient examinées dans un délai anormalement rapide, pour une raison mystérieuse.

De toute façon, cela vaut la peine d’essayer, puisque ce n’est pas tellement cher (quoique les frais gouvernementaux vont augmenter d’environ 25 % en 2024) et que c’est votre seule option, à moins que vous ne soyez prêts à traduire votre marque en français.

1. Notons que même les propriétaires de marques enregistrées dans une autre langue devront se conformer à certaines nouvelles obligations en vertu de la Charte – tout descriptif ou générique inclus dans une marque devra être traduit en français, et le français devra être « nettement prédominant » dans l’affichage public visible depuis l’extérieur d’un local où figure la marque.

2. Les termes « voie rapide » et « voie ordinaire » ne sont pas des termes techniques utilisés par le Bureau des marques de commerce, mais sont simplement utilisés ici pour faciliter la compréhension. La « voie rapide » fait référence au dépôt de demandes d’enregistrement qui incluent uniquement des termes préapprouvés du Manuel des produits et services (un genre de grand bottin dans lequel on retrouve toutes sortes de manières de formuler des produits et services qui ont déjà été approuvées par le Bureau des marques). La « voie ordinaire » fait référence au dépôt de demandes d’enregistrement qui n’incluent pas uniquement des termes préapprouvés du Manuel des produits et services (par exemple, parce que les produits et services en question sont trop spécialisés et ne se trouvent pas dans le Manuel des produits et services). Il existe par ailleurs une procédure pour faire préapprouver des termes et les faire ajouter au Manuel des produits et services afin de se prévaloir de la « voie rapide ».

3. Une entreprise établie hors du Canada et qui possède une marque de commerce dans son pays d’origine peut généralement obtenir une marque de commerce en moins de deux ans si sa demande est déposée par l’entremise du Protocole de Madrid et que tout va bien (pas d’objection ou d’opposition).

Note de l’auteure : cette lettre ouverte est fournie à titre informatif, ne se veut pas un compte rendu exhaustif et n’a pas de valeur juridique.

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