Il y a de ces professeurs qui marquent… Je me souviens notamment d’un professeur d’histoire et d’éducation civique qui, lors d’un de ses cours, il y a maintenant plus de 20 ans, avait sorti son rétroprojecteur pour projeter en classe une pyramide des âges… Il nous avait alors annoncé qu’un jour, en raison du vieillissement de la population et de la baisse du taux de natalité, cette pyramide s’inverserait et que, ce jour-là, la société aurait du mal à trouver des travailleurs pour prendre soin d’une génération de baby-boomers qui partiraient à la retraite… Eh bien, nous y sommes ! La course contre la montre est lancée1.

Quelques faits québécois à l’heure actuelle : les entreprises québécoises font face à une pénurie de main-d’œuvre dans divers secteurs de l’économie ; les employeurs rivalisent pour attirer et retenir les travailleurs qualifiés ; le recrutement à l’international ou dans les provinces voisines est désormais présenté comme une solution.

Parallèlement à cette situation, depuis juin 2023, la « loi 96 », visant à renforcer la position du français comme langue officielle et commune du Québec, est entrée en vigueur. Afin de répondre à la fois à la pénurie de main-d’œuvre et aux exigences de la loi 96, des initiatives de recrutement à l’international en territoires francophones essaiment, et la francisation est au cœur des discussions politiques.

J’enseigne le français langue seconde depuis 15 ans et j’aimerais souligner que, sur le terrain, les solutions proposées ne semblent pas toujours répondre aux besoins de ces travailleurs qualifiés convoités…

Ces travailleurs sont aussi des apprenants de français que je rencontre au quotidien dans ma profession, et voici ce que j’entends :

– le processus d’immigration est parfois un parcours du combattant (et cela même pour des immigrants francophones) : lourdeur des démarches administratives tant pour l’employé que pour l’employeur et coûts de ce processus, difficultés en matière de reconnaissance des qualifications étrangères, défis de l’adaptation à une culture différente (ce n’est pas parce qu’on parle une langue commune que l’on comprend tous les codes d’une société et d’une culture qui nous est étrangère) ;

– suivre un cours de français à temps plein (ou même à temps partiel en dehors des heures de travail) n’est pas donné à tout le monde : pour un travailleur qui immigre, l’urgence d’installer sa famille et de payer son loyer en trouvant rapidement un travail prime ;

– pour la communauté anglophone du Québec ou du Canada, l’attrait des autres provinces qui exigent un niveau de français inférieur à celui demandé au Québec dans certains secteurs (7 ou B2 au Québec, 5-6 ou B1 pour les autres provinces) pourrait bien jouer dans leur décision d’aller travailler ailleurs qu’au Québec.

Les formations de français en entreprise au Québec restent la voie à privilégier. Elles permettent à tous ces apprenants confondus de se sentir accueillis par la société, soutenus dans leur milieu de travail et reconnus dans leur effort pour apprendre le français et comprendre la culture québécoise ; elles canalisent aussi le potentiel de progression de l’apprenant en immersion, sur son lieu de travail.

Aider les travailleurs qui apprennent le français au Québec, c’est leur offrir des formations en milieu de travail, c’est aussi ainsi que l’on peut aider les entreprises québécoises face à la pénurie de main-d’œuvre et c’est encore comme cela que l’on peut promouvoir la langue française et la culture du Québec… Ne serait-il pas temps de faire de la francisation en milieu de travail une priorité ?

1. Consultez les données de l’Institut de la statistique du Québec Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion