Un article publié dans La Presse⁠1 présente l’initiative de Ray Coelho, étudiant en science politique qui a pour objectif de rebaptiser l’avenue Christophe-Colomb en raison de son caractère historique controversé. Étant moi-même résidant de Villeray, l’initiative de M. Coelho m’a fait sursauter. Je salue l’engagement d’un autre jeune. Néanmoins, l’objectif me semble problématique.

Il suffit de regarder alentour de nous afin de constater que nous sommes entourés d’objets publics à teneur historique. Ces rues, institutions et tous les autres objets publics sont baptisés du nom de personnes qui ont été jugées auparavant comme méritant un tel honneur. Cela dit, ces dénominations ne s’alignent plus nécessairement avec nos valeurs d’aujourd’hui. C’est dans cet ordre d’idées que certains cherchent à changer l’effigie des monuments qui nous entourent. M. Coelho est l’un d’eux. Puisque Christophe Colomb fut responsable d’esclavage, M. Coelho affirme que « ça devrait être suffisant pour ne pas vouloir qu’il caractérise une rue ».

Ici, je crois qu’une considération importante est oubliée. Changer le nom d’une rue constitue une perte de symbole historique.

Je désigne cette mouvance qui cherche à rebaptiser les monuments publics comme le rouleau compresseur historique. C’est un phénomène qui aplatit le relief de notre histoire pour n’en montrer que l’acceptable.

L’histoire est composée de hauts et de bas, du bien et du mal, mais surtout de zones grises. Ne pas montrer l’intégralité de son histoire, est-ce vraiment cela être fier de son histoire ?

Je fais plutôt appel à la continuité de l’histoire, non à sa purification. Si je tiens au nom de l’avenue Christophe-Colomb, ce n’est pas parce que je suis un défenseur de l’homme. C’est parce qu’il est un personnage important de notre genèse. Son nom doit être présent dans la conscience collective, que l’on croie qu’il a fait plus de bien que de mal ou l’inverse. La fierté, c’est d’exposer les facettes de notre histoire dans son intégralité, sans se cacher.

Un consensus qui frise le ridicule

Il serait si simple de renommer l’avenue Christophe-Colomb le boulevard des Ormes, comme le propose M. Coelho. Puisqu’on y est, renommons l’Université McGill l’Université des Bouleaux et la station Lionel-Groulx la station des Sapins. Les arbres, ça, c’est consensuel ! On voit ici le ridicule de priver nos monuments publics de leur valeur historique. D’autant plus si l’on remplace les noms controversés par des noms de personnalités acceptables aujourd’hui, nous nous condamnons au même problème dans le futur.

Il est raisonnable de croire que les Québécois du futur n’auront pas les mêmes valeurs qu’aujourd’hui. Nous devons renouer avec l’histoire et non l’effacer.

Il existe une perte additionnelle. Lorsque je suis à l’angle de l’avenue Christophe-Colomb et de la rue Jean-Talon, je n’imagine pas les personnages eux-mêmes. Ces noms me transportent plutôt dans une chanson de Beau Dommage. Ce groupe formé dans Villeray et qui chante les rues de ce quartier. Rebaptiser les noms de rue, c’est aussi démanteler les associations que nous avons construites en relation avec celles-ci. Enfin, renommer les monuments publics n’est pas seulement une perte de symbolique historique, mais aussi une perte de symbolique personnelle.

Alors, les offenses de Christophe Colomb sont-elles réellement suffisantes pour que l’on renomme la rue ? La question est aussi : à quel prix ? Je vous laisse cogiter. Je termine sur cette question : pouvons-nous juger par des principes d’aujourd’hui les actions de personnes qui agissaient dans la mouvance de leur temps ? Intuitivement, je suis tenté de faire appel au principe de rétroactivité du droit selon lequel une personne ne peut être condamnée sur la base de lois promulguées ultérieurement à ses actions. Je laisse ouverte cette question fondamentale au débat lui-même.

1. Lisez le texte de La Presse : « En mission pour changer le nom de l’avenue Christophe-Colomb » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion