En réponse à la réflexion de Pierre Desjardins sur les changements climatiques, « Quand les changements climatiques nous tombent sur la tête… », publiée le 22 juillet⁠1

« L’humain a sottement placé tous ses espoirs en la science » ? « Exploitation scientifique » ? Ces affirmations sur la science sont bien étonnantes venant d’un philosophe ! Après tout, comme les mathématiques et la logique, la science est « fille de la philosophie ».

Avant la science moderne, on parlait plutôt de « philosophie naturelle » – comme le faisaient Galilée et Newton. Même avant Socrate, des philosophes de la nature, comme Thalès, Anaximandre et Anaximène, tentaient d’expliquer les phénomènes naturels sans recourir à des causes surnaturelles, comme les dieux. Environ 400 ans avant notre ère, Démocrite imaginait le monde constitué d’atomes.

Mais est-ce que la science (ou la philosophie !), par son approche méthodique, serait vraiment responsable de notre coupure avec la nature, de ce désir « de modifier la nature et d’augmenter son rendement », comme le pense M. Desjardins ?

Tout d’abord, on peut dire sans trop se tromper que, dans leur vie quotidienne, très peu de gens font de la science et encore moins comprennent comment la méthode scientifique fonctionne. Former des scientifiques est laborieux, car l’exercice de la science nécessite un usage rigoureux des mathématiques, de méthodes statistiques, avec revue par les pairs avant publication, etc. Toutes sortes de compétences qui ne sont pas (encore) requises pour aller faire son épicerie ou promener son chien ! Si certains voient la science comme responsable du « désenchantement du monde », on pourrait aussi affirmer tout le contraire : à travers les siècles, la science a patiemment déconstruit les idées de grandeur de l’humanité – souvent entretenues par la religion.

Leçons d’humilité

L’astronomie nous a appris que, loin d’être le centre de l’Univers, la Terre tournait autour du Soleil, une étoile assez banale en périphérie de la Voie lactée, elle-même une galaxie des plus ordinaires, dans un Univers incroyablement vaste. La théorie de l’évolution et la génétique nous ont appris que l’Homme et la Femme ne sont pas au sommet de la Création : ce sont de « vulgaires » mammifères, des primates qui partagent 98,8 % de leur génome avec leurs cousins, les chimpanzés. Comme toutes les autres espèces vivantes, animales comme végétales, notre génome est construit des mêmes molécules d’ADN et nous partageons tous un ancêtre commun. Quant à l’astrophysique, elle nous a appris que nos atomes, comme tout ce qui nous entoure, ont été forgés au cœur d’étoiles mortes aujourd’hui. « Nous sommes des poussières d’étoiles », selon la formule d’Hubert Reeves…

Grâce à la biologie, on connaît quelques-unes des innombrables interrelations entre les espèces au sein des écosystèmes, véritables cathédrales de complexité. Même notre peau et nos intestins grouillent de milliards de micro-organismes, notre microbiote, avec lequel nous sommes en symbiose et qui contribue à notre survie. Pour finir, les conséquences catastrophiques de notre dépendance au pétrole n’auraient pas été mises en évidence sans la climatologie et ses connaissances sur les rouages de notre planète.

Loin de nous couper de la nature, la science nous a montré, au contraire, notre vraie place dans l’Univers, nos liens avec le reste du vivant et la conséquence de nos actes.

Et devant la complexité de l’Univers et du vivant que nous révèle la science, on ne peut que s’attrister du peu d’émerveillement et d’humilité dont nous sommes capables.

Comme la technologie (que l’on peut voir comme de la « science appliquée ») et l’économie, la science est un outil créé par l’humanité. Et comme tout outil, il peut être utilisé à bon ou mauvais escient. On peut utiliser l’économie pour bien gérer un OBNL ou une coop pour maximiser les bénéfices pour la communauté. Ou on peut l’utiliser pour créer une entreprise prédatrice qui externalise sa pollution et autres nuisances pour maximiser les profits pour ses actionnaires et ses dirigeants. Au lieu de blâmer la science, pourquoi ne pas jeter un coup d’œil du côté du capitalisme et de la surconsommation ? Est-ce la science qui massacre les terres cultivables pour y bâtir des routes et des bungalows ? Est-ce la science qui incite à acheter des autos toujours plus grosses ? Est-ce la science qui fait croire que l’on mérite des vacances dans le Sud chaque hiver ? Est-ce la science qui organise une Coupe du monde de foot au Qatar dans des stades climatisés ? Est-ce la science qui est responsable des vêtements jetables de la fast-fashion, produits dans des conditions exécrables à tous les points de vue ?

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », disait Rabelais. Dans notre situation, une mise à jour semble requise : science, technologie et économie sans conscience laisseront la Terre en ruine et en larmes…

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