Me voilà enfin arrivé aux Îles-de-la-Madeleine, véritable paradis sur Terre. Avec ses immenses plages immaculées, ses couchers de soleil à couper le souffle, ses habitants chaleureux, son eau de mer cristalline… et bien sûr, son vent perpétuel qui en font un eldorado pour les amateurs de kitesurf.

Mais à peine débarqués du traversier, une vision moins idyllique s’offre à nous : l’immense centrale thermique d’Hydro-Québec et ses six énormes cheminées « éternelles comme l’enfer ».

Le dépliant touristique la présente comme la plus grande centrale thermique à moteurs diesel du Québec. Mais la vérité est tout autre : c’est du mazout lourd qui y est brûlé. Et vous ne devinerez jamais la quantité… 40 millions de litres de mazout lourd brûlés chaque année, pour subvenir aux besoins des 13 000 habitants des îles. C’est plus de 3000 litres par habitant par an !

Cette centrale électrique est non seulement la plus polluante de tout le Québec, émettant chaque année 125 000 tonnes de gaz à effet de serre, mais elle rivalise également avec nos alumineries et cimenteries comme plus grande pollueuse de la province, tous secteurs confondus.

Quarante millions de litres de mazout, ce n’est pas donné, et les prix ne cessent d’augmenter. Le coût de production de cette centrale s’élève actuellement à 47 cents par kilowattheure (kWh), alors que les résidants des îles ne paient qu’environ 7 cents par kWh. Le reste de la facture est refilé à l’ensemble des Québécois, c’est donc nous tous qui finançons, à notre insu, ce cancre de la production électrique.

Le paradis du vent

Mais où sont les éoliennes dans ce paradis du vent perpétuel ? À ce jour, on n’en dénombre que deux sur tout l’archipel, fournissant à peine 15 % de la production totale d’énergie. Hydro-Québec prévoit en installer jusqu’à quatre supplémentaires d’ici 2027, avec comme objectif de couvrir 40 % de la production des îles. Or, 40 % de la production, cela laissera toujours des dizaines de millions de litres de mazout lourd brûlés chaque année.

Les six énormes moteurs, dont la durée de vie était estimée à 80 000 heures lors de l’inauguration en 1991, continuent de tourner malgré leurs 120 000 heures d’utilisation, avec les coûts de maintenance que cela implique.

Bien sûr, l’arrivée des éoliennes suscite des débats parmi les Madelinots. Certains s’inquiètent pour les 80 emplois très bien rémunérés de la centrale, alors qu’Hydro-Québec s’est engagée à les maintenir. Et la Régie de l'énergie distribue actuellement 4,5 millions de dollars aux municipalités de la Gaspésie/Îles-de-la-Madeleine en redevance, ce qui permet de compenser d'éventuels effets néfastes.

PHOTO TIRÉE DE WIKIPÉDIA

La centrale thermique de Cap-aux-Meules, aux Îles-de-la-Madeleine

D’autres ont peur que les éoliennes ne nuisent à la nature fragile des Îles, malgré les études environnementales requises, ou même qu’elles rebutent les touristes, principale source de financement de l’archipel.

Virer de bord

En tant que visiteur, je peux les rassurer en avouant que je préférerais largement voir des éoliennes tourner gracieusement au vent plutôt que de croiser ce monstre thermique de pollution. Malheureusement, en visitant les îles, je contribue malgré moi à nourrir cette bête qui pourrait un jour nous engloutir.

Mais de combien d’éoliennes parle-t-on ?

La consommation d’électricité des îles est d’environ 20 MW en été et 30 MW en hiver. Avec une capacité de 4 MW par éolienne, il suffirait d’en construire 8 au total dans tout l’archipel pour répondre à 100 % des besoins.

De plus, la nouvelle filiale d’Hydro-Québec, EVLO, propose déjà à travers le monde sa technologie de stockage de l’énergie éolienne par batterie, ce qui pourrait compenser pour les rares jours sans vent. Mais soyons réalistes, ces jours-là sont extrêmement rares aux Îles-de-la-Madeleine. Comme le disent les Madelinots : « Ici, le seul moment où il n’y a pas de vent, c’est lorsqu’il vire de bord. »

La centrale thermique des îles représente à elle seule 40 % des émissions totales de gaz à effet de serre d’Hydro-Québec, même si l’on prend en compte les autres centrales thermiques et tout son parc de camions. Il est grand temps de ne plus considérer ce problème comme une simple question régionale, mais bien de le placer au rang des priorités nationales.

Ce texte a été modifié de sa version originale pour corriger la somme des fonds distribuée en redevance par la Régie de l'énergie. Celle-ci distribue actuellement 4,5 millions de dollars aux municipalités de la Gaspésie/Îles-de-la-Madeleine, et non 2 millions de dollars par éolienne par an, comme indiqué précédemment.

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