Dans son texte intitulé La fin de la « discrimination positive » publié dans La Presse, Yves Boisvert a qualifié de « triste » la décision de la Cour suprême américaine de mettre fin aux politiques favorisant l’accès des minorités aux grandes universités. En tant que personne directement visée par ce type de programmes, je me réjouis – à l’instar de nombreux « Noirs » américains – de ce pas de plus vers l’égalité.

Selon M. Boisvert, cette décision « représente bien ce que veut entendre une partie des Américains : cette histoire de race, qu’on n’en parle plus, c’est de l’histoire ancienne, voire du “racisme anti-Blancs” ». Il a raison.

Mais il importe de souligner ici que cette partie des Américains comprend un bon nombre de personnes « noires ». Comme l’économiste Glenn Loury, auteur du livre à succès The Anatomy of Racial Inequality (2002), et bien au fait des difficultés que rencontre son peuple. S’opposant à la victimisation des « Noirs » ainsi qu’à la dérive « anti-blanche » dans les universités, il a déclaré lors d’une conférence en 2019 dans une université du Massachusetts : « La discrimination positive est [une pratique] malhonnête. Il ne s’agit pas d’égalité, il s’agit de protéger ses arrières. »

Loin d’être convaincu de l’efficacité des mesures d’accès à l’égalité basées sur la race, John McWhorter, un professeur de linguistique à l’Université Columbia, a tenu ces propos dans un article qu’il a publié la semaine dernière dans le New York Times : « Cette pratique [la discrimination positive] était compréhensible et même nécessaire il y a 60 ans. La question que je me pose depuis un certain temps est de savoir précisément pendant combien de temps elle devra se poursuivre. Personnellement, j’en suis venu à penser que des mesures axées sur des facteurs socio-économiques – la richesse, le revenu, voire son quartier – seraient plus bénéfiques tout en étant moins injustes. »

De son côté, Ayaan Hirsi Ali, une militante des droits de la personne qui anime sa propre balado, indique dans un article publié à la fin du mois dernier sur le site UnHerd qu’elle a comparé la situation des « Noirs » américains qui ont réussi avec celle de ceux qui peinent à le faire.

« Outre les familles solides qui cultivent les habitudes associées à la stabilité et à la réussite dans la vie – littératie, curiosité, éthique du travail –, l’accès à de bonnes écoles dès le plus jeune âge est essentiel pour remédier aux disparités économiques. »

Elle émet donc l’hypothèse que l’environnement dans lequel une personne naît – qu’il soit bon ou mauvais – a une incidence considérable sur un parcours de vie. « Accepter ce fait est la première étape pour résoudre les disparités auxquelles doivent faire face non seulement les “Noirs” américains, mais aussi d’autres groupes défavorisés aux États-Unis. C’est là le défaut fondamental de la discrimination positive : le sort des “Noirs” américains pauvres n’a pas grand-chose à voir avec la race. »

Si ces voix semblent minoritaires dans les médias traditionnels, elles se sont pourtant multipliées ces dernières années pour se distancier du discours antiraciste dominant et offrir de nouvelles pistes de réflexion.

C’est dans ce contexte qu’a vu le jour l’organisme américain à but non lucratif Free Black Thought, dont la mission est de mettre en lumière les voix « noires » anticonformistes qui se font difficilement entendre dans l’espace public, mais qui sont aujourd’hui de plus en plus recherchées.

L’un des fondateurs de cet organisme, Erec Smith, un enseignant au York College en Pennsylvanie, a publié un manifeste en mai 2021 dans lequel il écrivait : « Pour construire une société véritablement antiraciste, nous devons écouter toutes les voix “noires”, et pas seulement celles qui sont considérées comme “authentiques”. »

Ainsi, pour tous ces « Noirs » américains qui ont pris d’assaut les médias moins traditionnels et les réseaux sociaux pour se faire entendre sur la question raciale, cette décision de la Cour suprême américaine n’a rien de « triste ». Elle reflète plutôt ce qu’ils observent eux-mêmes dans leur société, à savoir que la race est un outil d’analyse limité quand il est question de disparités.

Et si c’est vrai dans un pays où la ségrégation raciale et les pratiques discriminatoires étaient régies par des lois, on peut se demander à quel point cet outil est pertinent dans une société aussi égalitaire et soucieuse des droits de la personne que le Québec.

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