Le 28 juin, un homme a poignardé une professeure de philosophie et d’études de genre, à l’Université de Waterloo, ainsi que deux étudiant·e·s. L’agresseur avait planifié cette agression : il avait choisi sa cible, Katy Fulfer, professeure. Le chef de police de la région de Waterloo, Mark Crowell, avance que les gestes étaient motivés par une haine envers l’identité de genre et son expression. On dit que les trois personnes atteintes ont subi des blessures graves, mais qui ne mettent pas leur vie en danger. Et pourtant…

Il faut être féministe, écrire, publier, enseigner, vivre en tant que féministe, oser prendre la parole sur la place publique en tant que féministe, pour mesurer combien la voix de celles et ceux qui défendent les droits des femmes et des minorités de genre, qui choisissent de réfléchir et d’interroger les questions de genre, est constamment mise en danger…

Il faut lire Mary Beard, qui, dans Les femmes et le pouvoir, met en lumière le fait que depuis les Grecs, la voix des femmes est interdite. Télémaque dit à Pénélope que la parole est une affaire d’hommes parce que la parole publique est masculine. Les femmes de la Grèce antique n’ont le droit de parler qu’en tant que victimes ou martyres – en général juste avant de mourir – et ne peuvent défendre que leurs maisons, leurs enfants, leurs maris ou les intérêts d’autres femmes ; elles n’ont pas le droit de parler au nom des hommes ou de la communauté en entier.

Encore aujourd’hui, il y a un biais contre la voix des femmes, trop haut perchées, trop fluettes. Des femmes en position de pouvoir vont travailler leur voix afin d’en baisser la tonalité. Encore aujourd’hui, la voix des femmes fait plus difficilement autorité.

En réaction à une prise de parole au féminin, et pire encore féministe, la menace sera ainsi souvent sexuelle : le « tais-toi » se doublant d’un « je vais te violer », t’humilier, te salir sur la place publique, ce qui est l’équivalent contemporain du bûcher.

Il faut lire Silvia Federici pour mesurer le mal qui a été fait aux femmes, au Moyen Âge, justement parce qu’elles osaient prendre la parole, défendre leur droit au commun, protester contre la propriété privée, le capitalisme et le patriarcat. Il faut lire Silvia Federici pour se rappeler les moyens utilisés pour faire taire celles qu’on accusait de sorcellerie. Celles dont on disait qu’elles perdaient leur temps à « commérer ».

Au Moyen Âge, « gossip » signifiait : marraine (god – Dieu et sibb – parent), puis sage-femme ou compagne d’accouchement, et finalement amie. Le mot « gossip » change de signification en même temps que grandit la misogynie et que des femmes sont accusées de sorcellerie. Au XVIe et au XVIIe siècle, on assiste ainsi à une guerre contre les femmes des classes populaires. On renforce l’autorité patriarcale, on exclut les femmes des guildes et des corporations (on interdit aux femmes de se réunir pour discuter), on féminise la pauvreté.

À la tête de l’État et de la famille : des hommes à qui les femmes doivent obéir sinon elles sont punies. Quel est le châtiment ? Le « gossip bridle » ou bride à mégère (un instrument qui apparaît en 1567), ce mors qu’on insère dans la bouche et qui appuie sur la langue, hérissé de pointes pour que la coupable ne puisse pas bouger la langue sans douleur et qu’elle soit donc incapable de parler.

Aujourd’hui, on le sait, le « gossip », le moulin à rumeurs, continue à être étroitement associé au féminin.

Voire : ce qui sort de la bouche des femmes, surtout quand elles parlent ensemble, et qui plus est quand elles sont féministes, a tendance à être dévalué, moqué, remis en question sans véritable argumentation.

Aujourd’hui, le bûcher est celui de messages anonymes, de menaces sur les réseaux sociaux, d’un vitriol envoyé en privé et en public pour s’en prendre à tout ce qui touche, de près ou de loin, à l’identité de genre et à celles qui osent la défendre en tant qu’une pensée complexe qui nous incite à voir par-delà l’hétérocentrisme, la binarité homme-femme et la hiérarchie qui en découle. Ce monde où le masculin l’emporte éternellement sur le féminin.

Une pensée importante, nécessaire, pour contrer la haine envers la diversité sexuelle et de genre.

Je n’accepterai pas de baisser les bras devant la haine. Je ne plierai pas devant l’antiféminisme. Je continuerai à défendre la nécessité qu’on s’intéresse avec intelligence et empathie à l’identité de genre, qu’on lui fasse une place dans nos salles de classe, nos politiques gouvernementales, notre cœur et notre pensée. Pour que la haine batte en retraite. Que les couteaux ne remplacent pas les bûchers.

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