Quelques jours avant de fêter ses 60 ans en mai, Manon Massé a annoncé qu’elle passera le flambeau comme porte-parole féminine de Québec solidaire, tout en restant députée de Sainte-Marie–Saint-Jacques. La Presse en a profité pour lui parler du chemin parcouru… et de l’avenir.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, LA PRESSE

Manon Massé, en terrasse avec Luc Boulanger

Elle arrive à bicyclette, un peu en retard. La députée reprend son souffle en verrouillant son vélo et nous rejoint sur la terrasse du bar Renard ; non sans saluer au passage quelques citoyens qui semblent heureux de la croiser. Dire que Manon Massé est aimée ici, au cœur du Village, dans son bastion du Centre-Sud, tient de l’euphémisme.

Si on devait résumer sa personnalité en un seul mot, on choisirait le verbe « assumer ». Manon Massé assume ses origines ouvrières, son homosexualité, son look. Parlant de look, la députée a-t-elle entendu le témoignage d’Hélène Buzetti à la radio d’ICI Première, le jour de l’annonce de son départ comme co-porte-parole de Québec solidaire ? « Non », répond-elle, en me fixant de ses yeux bleus perçants, curieuse d’en savoir plus.

Le 16 mai dernier, l’analyste politique à Midi Info a tenu à la remercier « pour ses cheveux blancs, sa moustache, sa corpulence et son authenticité ». Selon la journaliste, Mme Massé a contribué « à décoincer l’image des femmes dans la sphère publique ». En montrant un spectre féminin plus large que « le modèle Barbie ».

« En 2006, quand j’ai décidé de me présenter aux élections, ce n’était pas pour ouvrir les portes aux marginaux, nuance la députée. J’ai sauté dans l’arène parce que Québec solidaire est le seul parti qui correspond à ma vision politique. Je ne pouvais pas faire autrement que de rester moi-même. Depuis 40 ans, comme militante féministe, je répète aux femmes qu’elles sont belles telles qu’elles sont, que l’important, c’est ce qu’on a en dedans… pas en dehors. »

C’est vrai que je n’ai pas le profil convenu de la femme publique. J’ai toujours été dans les marges, hors norme. Les jeunes d’aujourd’hui me disent que je suis queerJe leur dis non, moi, je suis une butch, une vraie butch. Tant mieux si j’ai pu démontrer que la politique appartient à TOUT le monde ; que les femmes ne sont pas obligées de cadrer dans un modèle unique ! Et j’ai quand même fait trois débats des chefs, viarge !

Manon Massé, députée

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« C’est vrai que je n’ai pas le profil convenu de la femme publique… »

Une butch, dans le livre de Massé, c’est une battante, une amazone et une guerrière. « Je suis une guerrière de la paix, dit-elle. Pour moi, la paix, ce n’est pas juste l’absence de guerres, de conflits. Aller à contre-courant, avoir une vision du monde différente du discours dominant, ça demande de se battre aussi. »

« Les gens qui vivent dans la rue, parce qu’ils sont incapables de trouver un logement, les jeunes qui se détruisent et se droguent à cause de problèmes de santé mentale ; ces personnes-là ne sont pas du tout en paix », illustre Manon Massé.

L’avenir du Village…

Impossible de ne pas lui poser de questions sur le déclin du Village, et les problèmes de sécurité pour ses résidants. Au point où des commerçants songent à fermer leurs terrasses, rue Sainte-Catherine. « Il y a eu au cours des dernières décennies, avec l’obsession des gouvernements de toujours baisser les impôts, des compressions dans les services publics. Cela a fait mal au quartier, estime la députée. On a moins investi en santé mentale, dans la lutte contre la pauvreté, dans les services de première ligne, les travailleurs de rue. »

Puis, la pandémie est arrivée. La crise du logement. Le vandalisme et l’itinérance ont augmenté. « Tout ça est relié, selon la politicienne. Ce qui manque le plus, c’est la prévention. Autant en santé mentale qu’en habitation. Il faut redistribuer et partager la richesse pour le bien commun. Pas par charité. Si les citoyens ont peur de marcher dans la rue ou de manger à une terrasse, ça touche tout le monde ! »

Cohabitation

Depuis notre rencontre à la mi-juin, la Ville a annoncé un plan stratégique pour l’avenir du Village. Le chef de la police de Montréal, Fady Dagher, a aussi reconnu « qu’il faudra plus de renforts et d’efforts ». « La question de la cohabitation avec les nouveaux résidants est primordiale, croit Manon Massé. Dans le futur, il va y avoir 30 000 nouvelles habitations. Je ne veux pas que le Village devienne un autre Griffintown ; surtout pas ! »

Je lui fais remarquer une bannière dans la rue qui indique « Quartier inclusif ». Un nouveau nom pour désigner le Village. Qu’en pense l’élue de la circonscription ? « On chemine. On ouvre plus les horizons. C’est bien. Dans les années 1980 et 1990, on disait le Village gai. Et les lesbiennes se sentaient exclues du quartier. Nos bars étaient en dehors du Village. Si les jeunes veulent élargir le quartier à l’ensemble de la diversité, et qu’une nouvelle génération va plus loin sur le chemin de la diversité sexuelle, c’est ben correct. Mais ça reste nous, les plus vieux, qui avons ouvert la voie pour eux. »

Issue de la classe ouvrière, Manon Massé estime que notre société dévalorise les gens en bas de l’échelle sociale. « Comme si, pour être une meilleure personne, il faut absolument grimper en haut de l’échelle. Alors que moi, j’aimerais que tout le monde sur l’échelle soit heureux dans la vie. Personne ne choisit de naître dans une famille pauvre ou dysfonctionnelle. C’est pour ça qu’on devrait tous avoir les mêmes droits. »

On a bien beau l’aimer ou pas, Manon Massé a le don de parler vrai. Avec les mots du cœur.

Questionnaire estival

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« Dans les années 80 et 90, on disait le Village gai. Et les lesbiennes se sentaient exclues du quartier », dit Manon Massé.

À quoi ressemble votre été idéal ?

« Être au milieu de la forêt. J’ai besoin de me retrouver dans la nature. Aussitôt que je suis en vacances, je pars dans le bois. »

Le livre que vous voulez lire cet été ?

J’ai une tradition estivale. Avant de partir en vacances, je passe à La livrerie, une librairie indépendante, rue Ontario, pour mes provisions littéraires. J’aime beaucoup lire de la poésie, des romans québécois, de la littérature autochtone. Je vais probablement lire aussi des projets de loi (rires).

Les gens que vous aimeriez réunir à table, morts ou vivants ?

Nelson Mandela, pour sa sagesse et son expérience de vie. Et la poète afro-américaine Audre Lorde, une lesbienne féministe radicale qui m’a aidée à comprendre le féminisme intersectionnel. Ensuite, j’inviterais à table les décideurs du Québec : François Legault, le Conseil des ministres, les chefs autochtones. Pour discuter comment transformer le Québec actuel en une société meilleure et égalitaire. À l’intérieur de laquelle les forces de chacun seront valorisées.

L’évènement historique que vous auriez aimé vivre ?

L’opération femmes-jurées du Front de libération des femmes du Québec (FLF), en mars 1971. Au milieu d’un procès, sept femmes ont sauté dans le box du jury d’une salle d’audience pour dénoncer la loi discriminatoire qui empêchait les femmes de siéger comme jurées.

Une activité qui vous inspire en été ?

La randonnée, à pied ou à vélo.

Manon Massé en cinq dates

CHARLES WILLIAM PELLETIER, LA PRESSE

Manon Massé se définit comme « une guerrière de la paix »,

  • 22 mai 1963 : Naissance à Windsor, en Estrie, dans une famille ouvrière et catholique
  • 1995 : Se voit confier par Françoise David, alors présidente de la Fédération des femmes du Québec, la logistique de la marche Du pain et des roses
  • 7 avril 2014 : Élue députée de Sainte-Marie–Saint-Jacques à sa cinquième tentative
  • 21 mai 2017 : Devient porte-parole féminine de Québec solidaire
  • 16 mai 2023 : Annonce qu’elle passe le flambeau comme co-porte-parole de QS. Sa successeure sera élue au prochain congrès du parti le 26 novembre. Elle dit vouloir consacrer plus de temps à sa circonscription et à ses proches.