Ce n’est pas le candidat que l’exécutif de Québec solidaire (QS) voulait. Les membres de la circonscription locale ont tranché : le sténographe Olivier Bolduc représentera le parti lors de l’élection partielle à venir dans Jean-Talon. Un homme, un autre.

Le parti compte déjà deux fois plus de députés hommes que femmes. Seulement 33 % de son caucus est féminin, loin derrière le Parti libéral (58 %) et la Coalition avenir Québec (45 %). Seul le Parti québécois fait pire.

Les solidaires sont tout à coup mal placés pour faire la leçon.

Depuis sa création, QS défend haut et fort sa vision de l’égalité des sexes et des genres. Son problème ne vient pas d’un manque de principes. C’est plutôt le contraire.

Ses membres refusent de faire les arbitrages inévitables. Dans ce cas-ci, ils se battent en même temps pour la parité et pour la démocratie directe.

D’un côté, ils veulent que les femmes soient aussi nombreuses que les hommes. De l’autre, ils refusent que l’exécutif national du parti choisisse les candidats.

Toute décision qui vient du sommet de la pyramide suscite la méfiance des associations locales. À leur initiative, QS a adopté l’hiver dernier une résolution pour atteindre la parité « le plus vite possible » tout en respectant les statuts du parti. Donc en laissant les membres locaux choisir leur candidat.

Cette stratégie se comprend lors d’élections générales.

Quand la campagne commence, les compteurs se remettent à zéro. Bien malin qui peut prédire le résultat. Le contrôle d’un parti est limité. Il peut viser la parité chez les candidats et s’assurer que les femmes sont présentes dans les circonscriptions gagnables. Ces deux objectifs peuvent en théorie être atteints même si on laisse les militants locaux choisir les candidats.

Pour le reste, ce sont les électeurs qui décident. Le parti apprend en même temps que le reste du Québec le résultat. QS plaide que si Émilise Lessard-Therrien avait conservé son siège de Rouyn-Noranda–Témiscamingue, et si celui de Saint-François avait été conquis par la Dre Mélissa Généreux, la parité aurait presque été atteinte dans son caucus. N’empêche que cela fait beaucoup de « si ».

Dans une élection partielle comme celle de Jean-Talon, le refus d’imposer une candidature féminine est plus difficile à défendre. Car on connaît le nombre de femmes et d’hommes dans le caucus. Et on sait s’il est nécessaire d’imposer une candidate pour rétablir l’équilibre.

C’était justement le cas lors de la partielle en mars dernier dans Saint-Henri–Sainte-Anne. Malgré tout, QS a présenté Guillaume Cliche-Rivard. Il y avait toutefois un contexte particulier. Après leur résultat décevant aux élections générales, les solidaires avaient besoin d’une victoire. M. Cliche-Rivard avait fait la dernière campagne et il était prêt à retourner sur le terrain. Et comme ex-président de l’Association québécoise des avocats en droit de l’immigration, il promettait d’apporter une précieuse contribution à l’équipe.

Ces conditions spéciales n’existent pas dans Jean-Talon. Olivier Bolduc a sans doute des qualités, mais il reste inconnu du grand public et il n’a pas l’envergure de M. Cliche-Rivard. Son principal atout était d’avoir un réseau de partisans insoumis dans la petite association de Jean-Talon, grâce aux deux dernières campagnes qu’il y a menées.

Gabriel Nadeau-Dubois et Manon Massé ont poliment incité les membres à appuyer une candidate féminine, Christine Gilbert, professeure de comptabilité à l’Université Laval. L’exécutif de QS n’a pas trop insisté, par crainte que des membres locaux fassent le contraire pour montrer leur indépendance.

M. Bolduc a refusé de céder sa place, et ses alliés ont tenu tête à l’exécutif.

QS en sort perdant. Car en plus d’être une femme, Christine Gilbert aurait apporté une précieuse expertise aux solidaires en finances publiques. La parité allait de pair avec la compétence.

Reste à savoir si cette circonscription est prenable pour QS. En octobre 2022, la déserteuse caquiste Joëlle Boutin avait obtenu 32,5 % des votes, devant QS (23,8 %), le PQ (18,7 %) et le PLQ (13,5 %). Pour surprendre, les solidaires auraient besoin que l’effondrement libéral gonfle leurs appuis et que la remontée des péquistes divise le vote nationaliste identitaire. Ce n’est pas le scénario le plus probable.

Les solidaires ne sont pas les seuls à vivre ce genre de scénario. Au Parti libéral du Canada aussi, ce sont les membres locaux qui choisissent les candidats. En 2017, à la surprise générale, la communauté grecque avait voté en bloc dans Saint-Laurent pour désigner Emmanuella Lambropoulos et non Yolande James, qui était le choix de Justin Trudeau.

C’est plus simple quand l’exécutif du parti se permet d’imposer une candidate, comme le fait la Coalition avenir Québec (CAQ). Mais en contrepartie, cela étouffe le débat militant – à la CAQ, tout tourne autour du chef fondateur.

Les rivaux de QS feront un lien avec l’épisode de la formation sur la crise climatique. Les solidaires se sont battus pour obliger les députés à la suivre, mais le tiers d’entre eux l’ont boudée. Une fois de plus, ils ne prêchent pas par l’exemple.

À QS, le mot « compromis » est parfois synonyme de compromission. Cet idéalisme se retourne maintenant contre les membres. En ne voulant rien céder, ils ont fini par perdre un peu de crédibilité. Et de s’ajouter un obstacle dans une partielle qui s’annonçait déjà difficile.