Au fil du temps, la Cour suprême du Canada a posé un certain nombre de principes en ce qui touche les droits linguistiques. Ainsi, elle a énoncé le principe de l’interprétation large de ces droits dans tous les cas. À côté de cela, elle a établi le principe de l’application contextuelle des droits linguistiques, un principe voulant que ces droits soient mis en œuvre en tenant compte de l’environnement sociodémographique propre à chaque province et à l’État canadien.

Bien sûr, la Cour suprême n’a pas été sans rappeler à l’occasion l’objectif global qui sous-tend l’ordre constitutionnel canadien, qui est celui de la progression vers l’égalité des deux langues officielles du Canada, progression qui est destinée à emprunter des voies législatives et réglementaires, voire idéalement constitutionnelles.

D’ajouter la Cour suprême, les droits linguistiques doivent également être interprétés en fonction de leur finalité, de leur objet. Celui-ci est notamment de favoriser la protection et l’épanouissement des communautés linguistiques minoritaires. De surcroît, les droits linguistiques ont un caractère réparateur, en ce qu’ils visent notamment à corriger les erreurs et injustices du passé.

Cette égalité dont parle la Cour suprême n’est autre qu’une « égalité réelle », c’est-à-dire une égalité concrète, qui requiert que des mesures spéciales plus fortes et plus soutenues soient appliquées en faveur des groupes linguistiques plus faibles, plus fragilisés.

Enfin, de dire la Cour suprême, les droits linguistiques imposent des obligations positives à l’État, en ce sens que celui-ci doit agir fermement en vue de respecter et de faire respecter ces droits.

Dans cette veine, la loi C-13, portant sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles, vient d’être adoptée par de très fortes majorités à la Chambre des communes et au Sénat. Elle a reçu la sanction royale le 20 juin dernier. Or, cette nouvelle loi respecte l’ensemble des enseignements de la Cour suprême du Canada.

Elle sera éventuellement accompagnée de règlements et d’une politique en matière d’immigration francophone.

Tenir compte de la précarité du français

Au surplus, elle postule une meilleure prise en compte de la situation relativement précaire de la langue française de l’ensemble canadien. Ainsi, elle contient un engagement à protéger et promouvoir le français, compte tenu du fait que cette langue est en situation minoritaire au Canada et en Amérique du Nord en raison de l’usage prédominant de l’anglais.

Elle reconnaît entre autres l’importance de remédier au déclin du poids démographique des minorités francophones, notamment par la venue de nouveaux arrivants. Elle affirme de surcroît l’importance du français dans les échanges et activités économiques et souligne la contribution de l’immigration francophone à l’économie de même que l’importance que les programmes de financement tiennent compte de la perspective francophone.

La loi C-13 cherche de plus à favoriser l’existence d’un foyer francophone majoritaire dans un Québec où l’avenir du français est assuré. À ce titre, elle rappelle que la Charte de la langue française (loi 101) dispose que le français est la langue officielle du Québec et elle infère que cette charte vise à protéger, à renforcer et à promouvoir cette langue.

Notons cependant que, bien que la loi C-13 fasse explicitement référence à la loi 101 et la légitime dans une certaine mesure, elle n’en avalise pas pour autant tout le contenu. D’ailleurs, il n’y a, dans la loi C-13, aucune acceptation de l’utilisation des dispositions dérogatoires contenues dans la loi 96. Il n’y a pas non plus d’incorporation de cette dernière loi par renvoi.

La Loi sur les langues officielles de 1969 et celle de 1988 parlaient abondamment des minorités linguistiques dans chaque province. La loi C-13 en parle beaucoup elle aussi, mais elle propose néanmoins de tenir compte des défis tout à fait particuliers auxquels fait face la langue française.

En d’autres mots, la loi C-13 propose un changement de paradigme.

Désormais, les langues anglaise et française ne seront plus envisagées sous une ornière strictement provinciale, mais elles seront plutôt vues comme des langues nationales, c’est-à-dire pancanadiennes.

Cela rejoint davantage le sens véritable de la dualité linguistique, laquelle repose sur la présence de collectivités francophones et anglophones, à la fois minoritaires et majoritaires, d’un océan à l’autre, à l’autre.

Bien qu’elle ne soit pas parfaite, la loi C-13 témoigne d’un bel équilibre entre les parties en présence. Somme toute, elle constitue un apport appréciable à la dynamique linguistique propre au Canada. D’ailleurs, à notre avis, on aurait tort de la mesurer à l’aune des gains accomplis par le Québec. Il s’agit plutôt, globalement, d’un gain pour le pays tout entier.

Reste bien entendu la question de l’affirmation des langues autochtones. Elle pose tout un défi dans le cadre du lien fédératif canadien. Elle devra faire l’objet d’un traitement spécial dans l’avenir, sans compromettre toutefois cette dualité linguistique dont nous parlions ci-dessus. Elle devra plutôt être complémentaire à cette dernière. Ce n’est pas là la quadrature du cercle. C’est simplement l’adaptation de l’ordonnancement juridique propre au Canada en fonction de l’évolution de la société.

En ce jour de célébration de la fête du Canada, il y a tout lieu de se réjouir de l’adoption de la loi C-13. Elle s’inscrit parfaitement dans l’esprit du fédéralisme canadien. Espérons maintenant que le gouvernement fédéral ira au-delà du libellé de cette loi et même de l’intention qui en motive l’existence pour pousser encore plus loin la vision et l’approche asymétriques des droits linguistiques.

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