L’Exposition universelle de 1967 connaît un déficit financier abyssal. Dès lors, Jean Drapeau, alors maire de Montréal, lance son Lotto 6/49 en vue de le réduire. Le gagnant doit capter 6 bons numéros parmi 49. Mine de rien, l’idée est socialement géniale. Le gouvernement du Québec, à la recherche de financement, la récupère d’emblée.

Les Québécois sortaient du régime de Maurice Duplessis, alors premier ministre du Québec qui, pendant 18 ans, les avait maintenus dans la pauvreté. En outre, avec son autorité affaissée, l’Église catholique n’osait plus avancer avec autant de fermeté qu’il était « plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des Cieux ». De surcroît, la Révolution tranquille de Jean Lesage avait fait son œuvre. Dorénavant, les Québécois pouvaient rêver d’être riches.

Les conséquences politiques ne se font pas attendre. Le Code criminel canadien est modifié. Il permet dorénavant aux provinces d’exploiter des jeux de hasard et d’argent. De ce qui précède naquit la Société d’exploitation des loteries et courses du Québec (Loto-Québec), en 1969. Elle surgit d’un monde jusque-là interdit, tant par la foi que par la loi.

Loto-Québec compte près de 6000 employés, dont 4500 dans ses casinos. La Société des casinos du Québec exploite quatre casinos, soit ceux de Montréal, de Charlevoix, de Gatineau et de Mont-Tremblant ainsi que des services de restauration et d’hôtellerie. La grève affecte aussi les jeux en ligne. Quelque 1700 salariés sont en grève, excluant les croupiers sauf ceux du Casino du Mont-Tremblant.

Les exigences salariales des grévistes tombent à point. Pour l’année 2022, Loto-Québec déclare un résultat net de 1,6 milliard de dollars, ce qui représente une augmentation de 40 % par rapport à la période précédente.

L’entreprise engrange ainsi des profits historiques dans un contexte inflationniste. Tenant compte de ces deux facteurs combinés, soit la profitabilité et l’inflation, les grévistes exigent des valorisations salariales susceptibles de compenser leur perte de pouvoir d’achat. S’ajoute le besoin d’attirer, chez Loto-Québec, des ressources humaines de qualité dans une période de pénurie de main-d’œuvre exacerbée par un taux de roulement alarmant.

Salaires des dirigeants

Dans leur quête de revenus, les grévistes montrent du doigt la direction supérieure de Loto-Québec qui se partagerait, pour l’exercice financier 2022-2023, 650 000 $ en bonis. Ils ont aussi dans leur ligne de mire le salaire annuel du PDG, à la hauteur de 596 421 $, en hausse de plus de 40 % par rapport à l’année précédente. A contrario, pour les travailleurs, la politique salariale de l’État, au nom du bridage des finances publiques, ne dépasse pas une valorisation de 2 % par année.

Dans un monde aux frontières poreuses, les grévistes des casinos sont à leur tour observés par les 420 000 membres du Front commun syndical qui se proposent de croiser le fer avec le gouvernement du Québec, après les vacances estivales, avec l’idée d’éviter leur appauvrissement. Voilà la perspective d’un affrontement patronal-syndical costaud à l’automne 2023, qui serait fouetté par le résultat de la grève des casinos, si la CSN qui représente les grévistes en sortait gagnante. Ainsi, cette grève des casinos, a priori marginale, explique plus grand qu’elle-même.

Le risque principal de l’inflation est de rendre indécents des salaires qui jusque-là étaient décents. Chez Loto-Québec, le salaire moyen, pour les emplois de base, se situe autour de 25 $ de l’heure ou 52 000 $ par année pour un salarié à plein temps.

Or en 2022, l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) évalue qu’un couple avec deux enfants, dans la région de Montréal, a besoin d’un revenu annuel minimum de 65 000 $ par année pour vivre décemment ou survivre dans la simplicité. Néanmoins, les ménages obtiennent généralement ce montant, voire davantage, si les deux conjoints sont sur le marché du travail. Sous cet angle, Loto-Québec offre des salaires décents, mais cela ne règle pas la réduction du pouvoir d’achat des travailleurs causée par l’inflation.

La grève des casinos remet en question la politique salariale gouvernementale. Elle illustre à nouveau la distance rémunérative entre dirigeants et dirigés, notamment dans le secteur public. À cet égard, elle est une source de réflexion au niveau de l’éthique distributive. En outre, elle est susceptible d’influencer l’ensemble de la négociation entre le gouvernement et son demi-million de fonctionnaires à l’automne 2023. L’heure est donc au bon jugement, ce qui postule une négociation qui irait à l’essentiel en suivant un processus de résolution de problèmes.

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