Des employés et des élus municipaux des Hautes-Laurentides en ont assez et dénoncent le harcèlement d’un citoyen. Un phénomène qui se reproduit dans bien d’autres villes et villages, et de plus en plus souvent. Au point de mettre en péril la démocratie municipale au Québec.

Vicki Émard ne va pas bien. Depuis que François Landry est entré dans sa tête, elle ne sort presque plus de chez elle. La directrice générale de La Macaza, dans les Hautes-Laurentides, se terre à la maison.

Quand elle se risque à l’extérieur, Vicki Émard évite les regards. « Je veux rencontrer le moins de monde possible, parce que je ne sais pas ce que les gens savent ni ce qu’ils pensent. Ils pensent peut-être que ce que dit ce gars-là est vrai. »

Ils pensent peut-être que Vicki Émard est incompétente et surpayée, comme l’affirme François Landry à qui veut l’entendre.

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Vicki Émard, directrice générale de La Macaza

Ça fait deux mois qu’elle s’isole, en proie à des crises d’angoisse. Depuis qu’un soir d’avril, étourdie, elle s’est rendue à l’hôpital. « Ma pression était dans le tapis. Quand j’ai vu ça, j’ai dit : j’arrête. Je ne ferai pas une crise de cœur à cause de lui. »

Son médecin lui a signé un arrêt de travail. En moins d’un an, l’attitude de François Landry venait de contribuer à rendre malade une deuxième directrice générale à La Macaza – en plus de provoquer, au moins en partie, l’arrêt de travail d’une employée de la municipalité voisine, Lac-du-Cerf. Durement ébranlée, cette dernière a subi un « stress post-traumatique » à la suite de son expérience, selon son syndicat.

Vous l’aurez compris : François Landry est un cas. Il se présente comme un simple citoyen venu de Montréal avec, dans ses bagages, l’expertise et le courage nécessaires pour dénoncer l’incompétence crasse des roitelets des campagnes. « Vous savez, dans un petit village rural, les élus ont tendance à faire n’importe quoi et les gens se ferment les yeux », m’a-t-il glissé.

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François Landry

Ce n’est évidemment pas la version des principaux concernés. Au cours des derniers jours, j’ai parlé à un préfet, une députée fédérale, des maires, des conseillers et des employés municipaux de la région des Hautes-Laurentides. Pour eux, François Landry est le parfait spécimen d’une espèce envahissante au Québec : le citoyen problématique.

De ceux, de plus en plus nombreux, qui s’acharnent, picossent, intimident et harcèlent les élus et leurs employés des villes et des villages, au point de bousiller leur santé mentale. De leur faire jeter l’éponge. Et de mettre en péril la démocratie municipale au Québec.

Tout a commencé par un message anonyme échoué dans ma boîte de courriels, à la mi-mai. Son auteur dénonçait un citoyen de La Macaza, un village d’un millier d’habitants au nord de Mont-Tremblant. « Il est connu de nombreuses municipalités pour son comportement. Il s’attaque très souvent à des femmes en autorité. »

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Le pont couvert de La Macaza

J’ai contacté le maire, Yves Bélanger. Il n’était pas chaud à l’idée de me parler. Vicki Émard a carrément refusé ; jusque-là, on lui avait conseillé de se taire, pour éviter de mettre de l’huile sur le feu. Les autres étaient tout aussi circonspects.

Personne n’avait envie de réveiller la bête.

Après quelques jours de réflexion, ils ont pourtant décidé de prendre le risque. Parce que ça dure depuis plus de deux ans. Et parce qu’ils n’en peuvent plus. Alors, ils m’ont raconté leur histoire, dans l’espoir que ça s’arrête, enfin.

C’est ainsi que je me suis retrouvée dans le bureau du conseiller juridique de La Macaza, Gérard Morency. Il m’a accueillie avec une montagne de documents liés au cas Landry. Des courriels. Des textos. Des plaintes. Des lettres. Des mises en demeure adressées au maire et au préfet de la MRC d’Antoine-Labelle. « On espère une accalmie, m’a dit MMorency en me remettant le dossier. C’est ça, le but : que les gens aient la paix. »

Février 2021. François Landry fait une offre d’achat sur une maison de La Macaza. Dans le passé, il a été conseiller politique, notamment au sein des cabinets des ministres fédéraux David Lametti et Jean-Yves Duclos. Il a d’ailleurs dénoncé ce qu’il considérait comme « matière à scandale » au sein de ces cabinets à Radio-Canada et à TVA.

Ce n’est pas d’hier que je dénonce les magouilles des politiciens. Mais c’est la première fois qu’un journaliste me confond avec un harceleur. Je suis plutôt un lanceur d’alerte.

François Landry, dans un message à notre chroniqueuse

Quoi qu’il en soit, son parcours professionnel a été houleux.

Mais tout ça, c’est de l’histoire ancienne. Le 10 février 2021, François Landry envoie son CV à la mairie du village. « Toute offre m’intéresse, écrit-il. À moins d’un problème majeur qui serait révélé par l’inspection vendredi, je vais m’installer à La Macaza… et je vais me chercher du travail pour commencer ma nouvelle vie ! »

La directrice générale par intérim, Caroline Dupuis, est « super enthousiaste » d’accueillir un nouveau résidant. Mais il suffit de quelques jours pour que les choses se gâtent. François Landry exige des infos sur la propriété qu’il s’apprête à acheter. Or, l’inspecteur en urbanisme du village est malade. Le futur résidant n’est pas disposé à attendre.

À partir de ce moment-là, Caroline Dupuis est catégorisée dans l’esprit de François Landry : incompétente. Il ne se gêne pas pour le faire savoir. À tout le monde.

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Caroline Dupuis, ancienne directrice générale de La Macaza

« Il s’en est pris à moi en me dénigrant auprès des gens en autorité, raconte-t-elle avec émotion. La mairesse de l’époque, le ministère des Affaires municipales, la Commission municipale du Québec… tous ceux qui pouvaient avoir du pouvoir sur moi. Il les a tous contactés pour me dénigrer, pour affirmer des choses fausses à mon sujet. »

En juin 2021, François Landry écrit à la mairesse de l’époque, Céline Beauregard : « On ne mérite pas mieux que ça comme direction générale à La Macaza ? Cette femme-là est du niveau de gérance d’un Dollarama. Sérieusement, ça fait dur ! »

La mairesse ne l’écoute pas. En septembre, Caroline Dupuis devient officiellement directrice générale. François Landry décide alors de briguer un poste de conseiller aux élections municipales de novembre.

Mais il ne lâche pas pour autant Caroline Dupuis, qui agit comme présidente des élections du village. Il lui envoie des courriels bourrés de mépris.

Le 29 septembre : « J’espère ne plus jamais avoir à faire intervenir une autorité à cause de votre manque de jugement. Ça devient très lassant. » Le 13 octobre : « Notez qu’une troisième plainte a été logée auprès du [Directeur général des élections du Québec] concernant votre troisième tentative de nuire à ma candidature. » Le 18 octobre : « Vous êtes de mauvaise foi ou carrément incompétente ? »

Il exige sa destitution auprès de la Commission municipale du Québec, qui rejette sa demande : « Les faits prouvés n’établissent aucunement la partialité ou une apparence de partialité de Mme Dupuis ; ils ne démontrent pas non plus une incapacité à exercer ses fonctions », tranche Denis Michaud dans sa décision, rendue le 29 octobre.

Ce jour-là, à dix jours du scrutin, François Landry retire sa candidature au poste de conseiller. Il se fâche à nouveau contre Caroline Dupuis, sous prétexte qu’elle tarde à officialiser son retrait : « Ton incompétence et ton arrogance sont sans égal. Tu n’as vraisemblablement pas idée du nombre de citoyens (et d’employés !) de La Macaza qui te trouvent détestable. »

Il ajoute : « Si tu continues à faire de l’objection systématique et te comporter avec arrogance, tu vas continuer à me trouver sur ton chemin. Je me ferai un devoir d’assister mes concitoyens à contester tes décisions débiles et à souligner à grand trait ton manque de jugement. Bye for now. »

Pour Caroline Dupuis, c’est le courriel de trop. « J’ai fait intervenir la Sûreté du Québec. Les policiers lui ont servi un avertissement. Ça s’est calmé un peu. »

Malheureusement, ça ne dure pas.

François Landry inonde La Macaza de demandes d’accès à l’information. En deux ans, il en a fait une douzaine. Des demandes très larges, pour ne pas dire démesurées : tous les courriels entrants et sortants de la directrice générale et de son adjointe depuis leur entrée en fonction ; toutes les factures d’avocats ; tous les contrats accordés par la municipalité ; toutes les demandes de permis formulées par chacun des membres du conseil municipal, etc.

À chaque nouvelle demande, la pression augmente sur la petite équipe, qui doit effectuer les recherches et anonymiser les documents, s’exaspère le maire actuel, Yves Bélanger. « Seulement pour la demande de courriels, on a évalué que ça prendrait six mois de travail à une personne pour biffer tous les noms ! »

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Les membres du conseil municipal de La Macaza. De gauche à droite : Benoit Thibeault, Marie Segleski, Brigitte Chagnon, Yves Bélanger (maire), Joseph Kula et Joëlle Kergoat. Absent de la photo : Raphaël Ciccariello.

« C’est mon premier mandat et il est difficile, on ne peut pas se le cacher, confie la conseillère Joëlle Kergoat. On a toujours été une municipalité accueillante. Mais ce personnage vient tout gâcher. Il nous empêche d’avancer dans nos projets. Tout ce qu’il fait a un coût et ça fait juste ralentir la machine. On a le goût de faire des choses. Ce personnage-là ne participe à rien. »

Pire, les membres du conseil municipal et la directrice générale sont régulièrement dénigrés sur la page Spotted La Macaza, administrée par François Landry. « Quelques mois après ton élection, tu te fais démolir sur Facebook, dit Joëlle Kergoat. On est dépeints comme une gang de crapules qui fait de la fraude… »

« On dirait que ça ne finit pas, renchérit le conseiller Joseph Kula. À la place de faire des affaires intéressantes, on est obligés de s’occuper de cette personne-là. »

Les six membres du conseil municipal sont unanimes : le citoyen Landry pourrit leur existence. Le maire Bélanger pense qu’il cherche à « déstabiliser l’administration jusqu’à la tutelle ».

En tout cas, il fait tout ce qu’il faut pour y arriver. « Ses comportements embourbent le système, dit Caroline Dupuis. Quand, comme employé, tu dois faire des démarches supplémentaires pour te défendre, tu retardes et alourdis le fonctionnement de la municipalité. »

Elle souligne l’ironie : François Landry dénonce à hauts cris une administration prétendument défaillante… et contribue lui-même, plus que tout autre habitant du village, à la faire défaillir.

En juillet 2022, Caroline Dupuis tombe en arrêt de travail, avant de quitter son poste à La Macaza. C’est, en bonne partie, à cause de ce citoyen qui ne la lâche pas, malgré la visite d’un agent de la Sûreté du Québec, malgré une lettre du maire le sommant de cesser son harcèlement envers elle. « Ça m’a épuisée, tout ça. »

De son côté, François Landry obtient ce qu’il veut : un poste de directeur général… dans la municipalité voisine de Lac-du-Cerf. Mais il ne réussit pas à rendre ce village plus fonctionnel. Tout le contraire, en fait.

Bisbille à Lac-du-Cerf

« Climat de travail toxique à Lac-du-Cerf », dénonce la CSN sur son site web, le 29 novembre 2022. « L’arrivée d’un nouveau directeur général, François Landry, en juillet, a bouleversé l’environnement de travail » de la dizaine d’employés municipaux, selon la centrale syndicale.

« Le délégué de Lac-du-Cerf, Samuel Raymond, n’en revient pas du climat de terreur que le nouveau directeur général a réussi à instaurer en si peu de temps ! », lit-on dans un communiqué. « En effet, depuis l’arrivée de M. Landry, les griefs se multiplient. Il impose des représailles à quiconque questionne ses instructions lorsque celles-ci vont à l’encontre des droits des travailleurs. Il est évident qu’il tente d’intimider tout le monde qui travaille pour la municipalité. »

PHOTO ROXANNE BELISLE, TIRÉE DU SITE WEB DE LAC-DU-CERF

François Landry a été directeur général de Lac-du-Cerf, dans les Hautes-Laurentides, pendant quelques mois en 2022.

Pendant des mois, François Landry refuse de signer la convention collective, pourtant entérinée par le conseil municipal. « Une pluie de mesures disciplinaires » s’abat sur les employés. Une salariée est même placée « en arrêt de travail à la suite d’un stress post-traumatique, avant d’être congédiée arbitrairement », lit-on sur le site de la CSN.

Le syndicat a décliné ma demande d’entrevue, puisque des griefs sont en cours. François Landry soutient qu’il a hérité d’un environnement de travail « complètement dysfonctionnel » et que le congédiement était justifié. « J’ai subi moi-même de l’intimidation et du harcèlement de la part du syndicat de Lac-du-Cerf. Ils essayaient de me faire signer une convention collective en m’empêchant de la lire. Il y a des employés qui faisaient de l’insubordination, qui ont été violents, qui menaçaient la direction. »

Peu après la sortie de la CSN, François Landry a remis sa démission, que le maire Nicolas Pentassuglia s’est empressé d’accepter.

Pas seulement à cause du climat de travail pourri, explique le maire. « C’était une accumulation de plaintes. Du syndicat, mais aussi de collaborateurs, de fournisseurs et de citoyens, en lien avec ses agissements. »

Après son passage de cinq mois à Lac-du-Cerf, François Landry reprend le collier à La Macaza en tant que citoyen demandeur de comptes. Sa nouvelle cible est Vicki Émard, qui a repris le flambeau de Caroline Dupuis à la direction générale. « Cela a été une descente aux enfers pour Vicki », se désole le maire Yves Bélanger.

Mme Émard, qui est aussi mairesse du village voisin de Labelle, est convaincue que François Landry fait « une fixation » sur elle. Son but, croit-elle, est de la « détruire », en la diffamant sur les réseaux sociaux. Cela a fini par la rendre malade.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Vicki Émard, directrice générale de La Macaza, dans les Hautes-Laurentides

J’ai rêvé qu’il entrait dans ma voiture et qu’il me lançait plein de papiers. Je n’étais pas capable de débarrer ma porte pour sortir. Il est vraiment dans ma tête. Il n’y a jamais personne qui a réussi à m’atteindre comme ça.

Vicki Émard, directrice générale de La Macaza

François Landry se plaint du gaspillage de fonds publics, mais coûte « des dizaines de milliers de dollars » à La Macaza, selon le maire Bélanger. Une firme d’avocats a reçu le mandat de répondre à ses multiples demandes d’accès à l’information. Une autre gère le dossier Landry. Des caméras de surveillance ont été installées à l’hôtel de ville pour rassurer les employés…

Et puis, il faut remplacer Vicki Émard pendant son arrêt de travail. « On essaie de recruter, mais on n’est pas capable, dit le maire Yves Bélanger. On a recours à une firme externe, mais c’est très dispendieux : 150 $ de l’heure… »

François Landry coûte cher ailleurs, aussi. Lac-du-Cerf a dépensé des milliers de dollars en frais juridiques pour se prémunir contre les attaques de son ancien directeur général, qui continuait à semer la bisbille malgré sa démission, en accusant les uns et les autres pour le climat de travail toxique. Le conseil municipal a même adopté une résolution, en janvier, afin d’entamer un recours en justice contre M. Landry, pour atteinte à la réputation. « Comme les évènements ont cessé, nous avons décidé de ne pas poursuivre », dit le maire Pentassuglia.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE LA MRC D’ANTOINE-LABELLE

Daniel Bourdon, préfet de la MRC d’Antoine-Labelle et maire de Mont-Laurier

La MRC d’Antoine-Labelle a aussi claqué des milliers de dollars en frais d’avocats dans le dossier Landry. « Il a commencé à appeler ici parce qu’il n’était pas content que la MRC n’ait pas fait son changement d’adresse auprès du centre scolaire [alors que ce n’était pas son rôle]. Il se retrouvait avec une pénalité. On parlait d’environ 7 $ d’intérêt », raconte, incrédule, le préfet Daniel Bourdon.

Les choses ont rapidement dégénéré. Devenu directeur général de Lac-du-Cerf, François Landry se plaignait amèrement de l’incompétence de deux employées de la MRC. « Dans une même journée, il pouvait m’envoyer cinq ou six courriels », dit Daniel Bourdon. Le préfet a reçu une lettre du syndicat de Lac-du-Cerf, qui le sommait de ramener le directeur général à l’ordre. Il a aussi reçu une mise en demeure de François Landry, qui l’accusait de tenir des propos diffamatoires à son égard. « Nous, à la MRC, on a dépensé pas loin de 15 000 $ d’avocats pour nous soutenir dans ce dossier-là. »

Des employés du Bloc québécois ont aussi goûté à la médecine Landry. « Sa patience était très limitée. Il voulait une réponse rapide, se rappelle la députée bloquiste Marie-Hélène Gaudreau. Je suis prête à aider un citoyen, mais il faut qu’il soit conciliant. Il ne l’a pas été. »

Le 28 mars 2022, François Landry a écrit un texto au maire de La Macaza, Yves Bélanger, pour se plaindre de la directrice générale de l’époque, Caroline Dupuis. « Comme d’habitude, elle préfère monter sur ses grands chevaux et tourner ça en drame. Elle a même essayé de faire intervenir la SQ l’automne dernier pour m’empêcher de communiquer avec elle. De quoi a-t-elle peur ? »

La réponse est simple : de lui.

Elle a peur de lui. Et elle n’est pas la seule.

J’ai fait une plainte à la Sûreté du Québec. Il y a une période, quand je sortais de l’hôtel de ville, le soir, je regardais partout avant d’embarquer dans mon véhicule.

Daniel Bourdon, préfet de la MRC d’Antoine-Labelle et maire de Mont-Laurier

Quatre autres personnes m’ont confié avoir déposé une plainte à la Sûreté du Québec (SQ) depuis l’arrivée de François Landry dans la région, dont le maire de La Macaza, Yves Bélanger, et le maire de Lac-du-Cerf, Nicolas Pentassuglia. Aucune plainte n’a mené à des accusations.

Pour François Landry, c’est la preuve qu’elles sont frivoles. « Elles ne sont pas retenues, ces plaintes-là, parce qu’elles ne sont pas sérieuses. » Il voit dans cette affaire une instrumentalisation des policiers (et des journalistes, dont moi-même) par des administrateurs qui cherchent à lui nuire. « Moi, j’expose le comportement des élus qui est inacceptable et des directrices générales qui sont limite corrompues, et c’est pour ça qu’elles démissionnent, et c’est moi qui suis ciblé comme le méchant dans l’histoire. J’ai vraiment une boule dans la gorge en imaginant ça. »

Vicki Émard est la dernière à avoir porté plainte à la SQ, le mois dernier. Pour elle, ça n’a rien de frivole. « J’ai acheté des caméras de surveillance. Je n’avais jamais eu ça, chez nous. J’ai fait mettre des barres de sécurité sur mes portes. Je laissais mes fenêtres ouvertes. Maintenant, elles sont toutes fermées. »

Une autre employée m’a confié, en pleurs, qu’elle avait fait installer des caméras sur sa maison. Elle refuse d’être identifiée par crainte de représailles.

Quand je lui parle de ces caméras, François Landry éclate de rire. « Mais quelle absurdité ! Ah, Seigneur ! » Il ne croit pas un instant à la détresse des personnes qu’il cible sans relâche.

Si ces gens-là étaient sincères, s’ils avaient vraiment peur et si je les intimidais, il y aurait des accusations contre moi. Il n’y en a pas.

François Landry

Il refuse catégoriquement de croire que des élus ou des employés puissent se sentir harcelés par son comportement. Mais alors, pourquoi sont-ils si nombreux à l’affirmer ?

« Parce que ce sont des gens malhonnêtes qui sont exposés par un citoyen et qui n’ont jamais vu ça, dans un petit village des Laurentides, quelqu’un qui est renseigné et qui connaît la politique, répond-il. […] Moi, j’arrive de la ville, j’ai travaillé dans des grosses administrations publiques, je connais la loi, je sais comment m’y prendre et eux, ça les fait paniquer. »

Autrefois conseillère de l’ex-ministre Christine St-Pierre, Vicki Émard arrive pourtant de la ville, comme lui. Elle a choisi de servir la démocratie municipale, à un moment où les élus des villes et des villages du Québec se font de plus en plus rares, à cause de citoyens problématiques. Comme lui.

Mais maintenant, ça suffit. Vicki Émard ne veut plus se taire. Elle a choisi de dénoncer, pour que François Landry sorte de sa tête. Pour marcher à nouveau dans les rues de son village sans éviter les regards.

« Une tentative d’intimidation »

« C’est une tentative d’intimidation politique, ça. »

C’est la première réaction qu’a eue François Landry lorsque je l’ai contacté pour obtenir sa version des faits. Au bout du fil, je venais de lui expliquer que plusieurs élus et employés des Hautes-Laurentides l’accusaient de harcèlement. Il est convaincu que j’ai été « instrumentalisée » par des politiciens « malhonnêtes » qui tentent de lui régler son compte.

François Landry m’a reçue chez lui, le lendemain, en compagnie de quatre membres du conseil d’administration de l’association citoyenne qu’il vient de mettre sur pied. Il a refusé de me dire combien de membres compte son association.

« Le maire et la directrice générale se sont objectés à nous présenter les dépenses détaillées de la municipalité, soutient-il. C’est là-dessus qu’on s’offusque, nous, les citoyens. Comment ça se fait qu’on paye des taxes et qu’on ne peut pas savoir comment notre argent est dépensé ? La municipalité se bat bec et ongles contre la diffusion de l’information. On a fondé une association citoyenne, on a fait circuler une pétition qui a été signée par plus de la moitié de la population. »

Si j’étais un harceleur, un intimidateur, les gens ne seraient pas derrière moi. Les élus s’acharnent pour me présenter de cette façon-là, alors que ce sont eux qui ont des choses à cacher.

François Landry

En février 2023, François Landry a effectivement lancé une pétition contre une hausse de taxes substantielle à La Macaza. Il affirme avoir récolté 500 noms dans la municipalité. Il a convaincu Éric Duhaime de se rendre à La Macaza pour appuyer sa pétition. M. Landry connaissait M. Duhaime pour avoir été son recherchiste à CHOI Radio X et pour l’avoir épaulé dans sa course à la chefferie du Parti conservateur du Québec.

François Landry soutient que la municipalité a de « graves problèmes de transparence ». Pour sa part, il n’est qu’un « honnête citoyen » qui critique des élus et des gestionnaires municipaux. C’est pour ça, estime-t-il, qu’on le prend pour cible.

« Oui, le ton est incisif, mais la démarche est honnête. Et elle va continuer. En aucune circonstance, cela peut s’apparenter à du harcèlement et de l’intimidation. […] Exposer des élus et des fonctionnaires municipaux par rapport à leur compétence et aux décisions qu’ils prennent, ce n’est pas du harcèlement. Ça les dérange, parce que c’est une petite communauté et les gens en parlent. Ils sont ciblés et se font regarder. Ça les dérange et je comprends qu’ils veulent faire une chasse aux sorcières et qu’ils veulent me démolir sur la place publique. »

François Landry assure n’y être pour rien dans l’arrêt de travail de deux directrices générales à La Macaza, bien que ces dernières disent avoir été fortement ébranlées par son comportement.

« Le motif réel pour lequel Caroline Dupuis a démissionné, c’est qu’elle n’était pas à la hauteur de ses fonctions », soutient-il. « Je n’ai pas adressé la parole à Caroline Dupuis entre novembre 2021 et le moment de son départ en congé de maladie [en juillet 2022]. Alors comment pourrais-je être tenu responsable de son départ en congé de maladie ? »

Le 10 mai 2022, le maire de La Macaza, Yves Bélanger, a pourtant écrit une lettre officielle à François Landry, le sommant de « cesser immédiatement » son harcèlement à l’endroit de Caroline Dupuis.

Le même jour, François Landry a écrit un courriel à la directrice générale : « Je regrette Caroline mais critiquer ton travail auprès des élus et même publiquement ne saurait être considéré comme du harcèlement ou de l’intimidation. C’est profondément ridicule de penser une telle chose. C’est un principe démocratique protégé par la Charte canadienne des droits et libertés. On appelle ça la liberté d’expression. […] Remets tes idées en perspective, je t’en prie. Oui, je te trouve incompétente et je vais continuer à l’exprimer. »

Poursuivre pour avoir la paix ?

En juillet 2021, La Macaza a modifié son message d’accueil. Depuis, lorsque vous appelez à l’hôtel de ville, une voix vous invite à « demeurer courtois et respectueux en tout temps envers les employés de la municipalité ».

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Le maire de La Macaza, Yves Bélanger

Ce nouveau message, tout comme une résolution du conseil municipal réaffirmant la « tolérance zéro » en matière de harcèlement, s’adresse à un citoyen en particulier : François Landry. Et, à l’évidence, ça ne fonctionne pas.

Pas plus que les plaintes à la Sûreté du Québec déposées par au moins cinq élus et employés municipaux des Hautes-Laurentides depuis que François Landry s’est installé dans la région, en février 2021. Ces plaintes n’ont mené à aucune accusation, bien que le corps de police dispose d’un plan de lutte contre l’intimidation des élus.

Que peut faire la municipalité, alors, pour avoir la paix ? Pour le président de l’Union des municipalités du Québec (UMQ), Martin Damphousse, il est temps d’employer les grands moyens : La Macaza doit poursuivre François Landry.

Ça tombe bien, la municipalité a adhéré en décembre 2021 à un programme d’assurance protection des élus, qui couvre une partie des frais à engager pour faire cesser la diffamation, le harcèlement et les propos haineux.

Le maire de La Macaza, Yves Bélanger, hésite pourtant à lancer une poursuite, puisqu’il s’agirait d’une nouvelle dépense pour le village, et ce, malgré l’assurance qui couvrirait la majeure partie des frais d’avocats. « Malheureusement, je pense qu’ils n’ont pas le choix de se rendre jusqu’au bout, dit pourtant Martin Damphousse. On est rendus là. »

Le phénomène dépasse les frontières des Hautes-Laurentides. Le gouvernement l’a reconnu, en avril, en débloquant une aide de 2 millions de dollars pour soutenir les municipalités qui souhaitent entamer des poursuites contre les citoyens qui rendent la vie impossible aux élus et aux employés.

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Martin Damphousse, président de l’Union des municipalités du Québec et maire de Varennes

Maire de Varennes depuis 14 ans, Martin Damphousse constate « une progression fulgurante de l’intimidation envers les élus ». En avril, La Presse rapportait que la Sûreté du Québec avait reçu près de 400 signalements de propos menaçants envers des élus en 2021. C’est 25 fois plus qu’en 2019 !

« On observe de plus en plus de détresse psychologique », se désole M. Damphousse. Et de plus en plus de démissions.

Il y a des limites à vouloir servir ses concitoyens, surtout pour un salaire de misère – souvent, quelques milliers de dollars par année pour un poste de conseiller de village. Si c’est pour se faire insulter tous les jours, autant laisser tomber.

Selon l’UMQ, pas moins de 311 élus ont remis leur démission depuis les élections de novembre 2021. « C’est grave, dit Vicki Émard, mairesse de Labelle et directrice générale de La Macaza. Quand on fait de la politique municipale, on ne le fait pas pour l’argent. On le fait parce qu’on aime ça et qu’on a envie de s’impliquer. » Pas pour se faire accuser sur les réseaux sociaux d’être payée bien au-delà de ses compétences. « Il n’y a personne qui serait assez payé pour se faire traiter de cette façon-là. »