Intimidation, harcèlement, démissions en cascade, il ne se passe pratiquement pas une semaine sans que des élus ou des employés municipaux dénoncent des situations invivables. Québec affecte 2 millions de dollars au soutien aux recours judiciaires contre les citoyens abusifs.

« Gang de bouffons ! » « Une vraie mascarade ! » Les insultes et jurons fusaient lorsque le conseil municipal de Wickham, dans le Centre-du-Québec, a adopté, à l’unanimité, l’entente visant à intégrer son service de sécurité incendie à celui de Drummondville, le 13 mars dernier. La soirée, amorcée par une rencontre d’information, a été houleuse, montrent les images diffusées par le média en ligne Vingt55.1

« Quand 200 personnes crient après vous, ce n’est pas le fun, notre cerveau tombe en mode défense. On avait engagé trois gardes de sécurité, une chance qu’ils étaient là », témoigne l’ex-maire Ian Lacharité en entrevue téléphonique.

PHOTO FOURNIE PAR IAN LACHARITÉ

Le maire de Wickham, Ian Lacharité, a remis sa démission le 21 mars dernier.

Élu maire en 2021 après un mandat et demi comme conseiller, M. Lacharité a démissionné le 21 mars dernier, puis a porté plainte à la Sûreté du Québec (SQ). Après l’assemblée de la mi-mars et les messages hostiles sur les réseaux sociaux, c’est une « altercation » impliquant « un citoyen avec ma conjointe » qui a fait déborder le vase. « C’est trop pour moi, ma conjointe n’a pas à subir ça », dit-il sans donner de détails sur cet épisode « sous enquête ».

« La situation n’est plus tolérable », a dénoncé la mairesse de Drummondville et préfète de la MRC de Drummond, Stéphanie Lacoste, dans un point de presse tenu quelques jours plus tard en compagnie d’élus de la région et du président de la Fédération québécoise des municipalités (FQM), Jacques Demers.

Cette sortie est née d’une discussion informelle entre élus où « tout le monde s’est mis à raconter une histoire », nous a expliqué Mme Lacoste.

PHOTO ELODIE KERGAL, FOURNIE PAR LA VILLE DE DRUMMONDVILLE

L’un avait eu des pneus crevés, d’autres, des lettres de menaces à la direction générale ou des employés attendus dans le stationnement de l’hôtel de ville, d’autres encore avaient reçu des propos haineux ou diffamatoires sur les réseaux sociaux.

Stéphanie Lacoste, mairesse de Drummondville et préfète de la MRC de Drummond

Le Centre-du-Québec est loin d’être la seule région touchée. Deux villages de Gaspésie, Cloridorme et Petite-Vallée, ont perdu maire et mairesse en mars.

À Petite-Vallée, le contexte des petites communautés « se déchirant à coups de menaces et agressions verbales » et la charge de travail ont eu raison de l’engagement de Mélanie Clavet, a expliqué celle-ci dans un communiqué.

À Cloridorme, où la directrice générale a aussi démissionné, « le climat tendu leur a rendu la vie difficile », a déploré le préfet de la MRC de La Côte-de-Gaspé, Daniel Côté, sur Facebook. « C’est triste. Et ce cas n’est pas unique au Québec », a souligné celui qui est aussi maire de Gaspé et président de l’Union des municipalités du Québec (UMQ).

Fonds d’aide de 2 millions

Des élus d’autres régions se sont plaints d’intimidation et de harcèlement, y compris à la Sûreté du Québec, ont rapporté de nombreux médias régionaux.

C’est dans ce contexte que la Gazette officielle du Québec a annoncé, mercredi, le versement de 1 million de dollars à la FQM, et autant à l’UMQ. L’argent doit servir à créer un fonds d’aide aux municipalités « qui ont entamé des recours judiciaires, ou qui souhaitent le faire, pour contraindre un citoyen de cesser d’intimider ou de harceler un employé ou un élu municipal ».

Une annonce officielle est prévue à la fin d’avril, a indiqué le cabinet de la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest. La ministre, la FQM et l’UMQ ont toutefois refusé d’en dire plus jeudi.

Intimidation et harcèlement sont déjà visés par un plan d’action ministériel, lancé juste avant les élections de 2021. La FQM et l’UMQ font de la sensibilisation et des formations. L’UMQ propose même un programme d’assurance couvrant une partie des frais à engager pour faire cesser les gestes ou propos « diffamants, harcelants ou haineux ». Pourtant, le phénomène ne semble pas se résorber.

Moins de 15 mois après les dernières élections municipales, en novembre 2021, 55 élections partielles au poste de maire ont déjà été tenues ou annoncées, montrent les données fournies par Élections Québec. On ignore combien de ces sièges ont été abandonnés pour cause d’intimidation, mais la police est plus souvent interpellée.

La SQ a reçu près de 400 signalements de propos menaçants ou de menaces envers des élus provinciaux québécois en 2021, presque 25 fois plus qu’en 2019.

« Il y a de plus en plus de motifs qui creusent le fossé entre la population et les élus municipaux, surtout dans les petites municipalités », observe Danielle Pilette, professeure spécialisée en gestion municipale à l’UQAM.

Non seulement les élus veulent réaliser des projets alors que les citoyens « s’attendent à ce que ça leur coûte le moins cher possible », mais aussi la situation financière de la municipalité est souvent mal comprise, dit-elle.

À Wickham, rehausser le service de pompiers pour répondre aux exigences de Québec « aurait augmenté les coûts pratiquement du triple », estime l’ex-maire Lacharité.

« Quand c’est le temps de prendre des décisions, les grosses municipalités ont un département de communications pour faire des pressions positives. Nous, on n’a pas ces ressources : on a de la misère à joindre les deux bouts ! »

Le ministère des Affaires municipales devrait s’organiser pour intervenir avant que ce genre de problèmes ne s’envenime, soutient Mme Pilette.

« Il appartient au Ministère, dans ses directions régionales, de former et de fournir des services de médiation – et ils ne le font pas ! »

1. Visionnez le montage vidéo du média Vingt55 sur l’assemblée houleuse de Wickham
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  • 396
    Nombre de signalements pour propos menaçants ou menaces envers des élus provinciaux québécois reçus par la Sûreté du Québec (SQ) en 2021, un bond de presque 40 % en un an. En 2019, elle en avait reçu 16. Et en 2022, 221 pour les huit premiers mois.
    Source : Sûreté du Québec
  • 55
    Nombre d’élections partielles au poste de maire annoncées depuis les élections municipales de novembre 2021. Après les élections de 2017, il y en avait eu presque deux fois moins (30) durant une période comparable.
    Source : Élections Québec, données du 7 novembre 2021 au 7 mai 2023 et du 5 novembre 2017 au 5 mai 2019