Le 13 juin dernier, Élections Québec annonçait le lancement d’un projet pilote sur le vote par internet aux élections municipales de 2025, 20 ans après le fiasco du vote électronique de 2005 et, encore une fois, sans débat public sur cette question d’importance vitale pour notre démocratie.

Ayant moi-même vécu les élections générales municipales de 2005 à Québec comme candidat défait par un peu plus d’une centaine de voix à la suite d’un recomptage judiciaire devant la Cour du Québec justifié par une panne des systèmes de vote électronique de près de deux heures pendant la journée du vote, j’ai été un acteur de premier plan avec l’ex-maire de Montréal, Pierre Bourque, à l’origine de la plainte qui a donné ouverture à une vaste enquête d’Élections Québec et qui a culminé en octobre 2006 avec un rapport accablant ayant conduit à un moratoire sur le vote électronique.

Quelle ne fut pas ma surprise de constater la semaine dernière à quel point Élections Québec, malgré une étude exhaustive qu’elle a elle-même menée sur les modes alternatifs de votation en 2020, avait fait abstraction de certains éléments de ce rapport et qu’elle s’apprête à refaire l’une des erreurs fondamentales constatées, soit de procéder à des expériences en l’absence complète de débat public sur une question aussi primordiale que la façon d’exercer notre droit démocratique fondamental de voter et en l’absence d’un encadrement administratif, sécuritaire et législatif adéquat et garanti.

Le projet pilote vise ainsi à lancer à nouveau le Québec dans l’aventure du vote électronique, du vote par internet, du vote par voie numérique de manière générale, sous prétexte de vouloir améliorer l’accessibilité au vote, véritable mantra, identique à celui qui avait justifié l’aventure rocambolesque du vote électronique municipal en 2005. Je me permets d’ailleurs de citer un extrait (page 219), parmi les nombreux constats, du volumineux rapport qui mériterait une relecture chez les tenants de l’idée :

« L’expérience des élections municipales de novembre 2005 démontre que le cadre législatif et administratif s’appliquant aux essais de nouveaux mécanismes de votation effectués par les municipalités québécoises n’est pas suffisamment précis et exhaustif ;

« Les systèmes de votation électronique utilisés à l’occasion des élections de novembre 2005, de même que ceux qui furent utilisés au cours des dix dernières années au Québec, l’ont été sans que des spécifications techniques, des normes et des standards de sécurité et de fiabilité suffisamment stricts n’aient été imposés. Or, les vérifications auxquelles le directeur général des élections a procédé ont démontré que des considérations liées à la sécurité des systèmes de votation électronique n’avaient pas été prises en compte [...] »

En quoi donc la situation est-elle si différente aujourd’hui ? Ce qui était relevé dans l’extrait précédent est encore plus important dans le contexte de 2023. Le risque est assurément plus élevé, comme l’ont démontré les expériences réalisées ailleurs dans le monde.

Envisager des avenues aussi extraordinaires que de permettre le vote à distance via internet doit faire l’objet d’un cadre juridique solide et d’une discussion ouverte qui devrait pouvoir susciter des échanges qui nous permettraient, par exemple, de décider jusqu’où nous sommes prêts à aller pour soi-disant faciliter l’exercice du droit de vote, pour autant qu’on en vienne à la conclusion que c’est ultimement le résultat qui serait atteint avec le vote par internet.

Cela soulève aussi à une question fondamentale à laquelle Élections Québec semble avoir déjà répondu elle-même : pourquoi le vote par internet ?

Élections Québec prétend vouloir faciliter l’exercice du droit de vote pour augmenter le taux de participation comme si celui-ci résultait d’emblée et à l’évidence de difficultés liées au fait de devoir se déplacer une fois tous les quatre ans au bureau de scrutin. Là encore, j’estime qu’Élections Québec fait fausse route. Les variations du taux de participation aux élections proviennent généralement de l’intérêt que les citoyens portent aux enjeux qui leur sont présentés en campagne électorale. Plusieurs études politiques le démontrent. Un débat public permettrait d’ailleurs d’éclaircir ce point.

À l’instar de 2005, le projet pilote en révèle assez peu sur les modalités d’exercice de cette expérience et les implications à prévoir pour les municipalités sur les ressources à y consacrer. Le jeu en vaudra-t-il vraiment la chandelle ? Est-ce vraiment ce qui ramènera les électeurs absents vers les urnes (électroniques ou physiques) ?

Le rapport de 2006 faisait aussi état de nombreux enjeux de cybersécurité et de fiabilité de la technologie. Dans l’initiative et la documentation présentées par Élections Québec, il n’y a aucune démonstration que cet aspect a été réglé depuis le fiasco des élections municipales de 2005.

Dans le contexte actuel, avec l’émergence de l’intelligence artificielle, les nombreuses tentatives d’ingérence numérique étrangère qui ont marqué le monde des dernières années et les difficultés persistantes à garantir la fiabilité du virage numérique dans les services gouvernementaux provinciaux, le vote par internet m’apparaît clairement prématuré. L’implantation du projet pilote d’Élections Québec ne doit surtout pas se faire dans l’indifférence générale au risque de répéter l’échec de 2005 et d’ébranler une fois de plus la confiance dans nos institutions démocratiques.

L’exercice du droit de vote devrait se faire en personne, au bureau de scrutin ou par correspondance et nous devrions mettre fin à la tentation d’en faire un exercice aussi banal qu’une transaction de commerce électronique.

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