Nous avons appris cette semaine la nomination de Jacques Farcy à titre de nouveau président et chef de la direction de la Société des alcools du Québec (SAQ). Si ce choix relève du gouvernement Legault, les orientations de la SAQ soulèvent nombre d’enjeux publics, tant sur le plan financier que social.

C’est à ce débat que les employées et employés de la SAQ entendent contribuer.

Nous sommes d’abord inquiets de l’entêtement de la haute direction à privilégier le développement des ventes en ligne au détriment du service à la clientèle en succursale. Après la bulle pandémique et nombre d’efforts de promotion, les ventes sur saq.com ont plafonné à 3,1 % des ventes aux consommateurs en 2022. Pour l’année en cours, les ventes en ligne sont de 12,3 % inférieures aux résultats à pareille date l’an dernier.

Loin des objectifs établis, ces maigres résultats n’ébranlent pas la direction de la SAQ : elle persiste à vouloir centraliser à Montréal le traitement de toutes les commandes effectuées en ligne, peu importe leur lieu de livraison.

Les délais ainsi encourus, d’un minimum de trois jours, ne sont certainement pas étrangers au peu d’engouement à faire ses achats en ligne. Sans parler du gaspillage environnemental évident : quel avantage y a-t-il à ce qu’un consommateur de Chicoutimi se fasse livrer de Montréal une bouteille disponible à quelques rues de chez lui ?

En Ontario, la LCBO (Liquor Control Board of Ontario) offre le service de commande en ligne et de cueillette en succursale, un modèle nettement plus rapide. Plus près de chez nous, la SQDC (Société québécoise du cannabis) offre aussi ce service… en moins de 90 minutes.

C’est donc avec étonnement, la semaine dernière, que nous avons vu le gouvernement accepter de tripler l’enveloppe accordée pour la construction de ce nouveau centre de distribution. En deux ans, le budget est passé de 48 à 137 millions de dollars, sans même qu’une seule pelletée de terre ne soit effectuée. Ce budget n’inclut pas les sommes associées au développement de l’immense machine qui sera responsable d’assembler des commandes individuelles à partir de 20 000 produits embouteillés.

Un service à la clientèle délaissé

Malheureusement, la SAQ ne démontre pas le même empressement pour consolider son service à la clientèle et ses ventes en succursale. Les signaux en ce sens sont nombreux.

La SAQ distribue des produits variés et fort complexes. Pourtant, trop peu de succursales du Québec peuvent compter sur la présence d’un conseiller en vin, responsable de l’équilibre des commandes, de la promotion des produits particuliers, et surtout, du partage de connaissances liées aux différents produits.

Près de 70 % des employés de la SAQ travaillent à temps partiel. Aucune entreprise au Québec ne fonctionne avec un tel ratio.

Aux prises comme toute entreprise avec les défis occasionnés par la pénurie de main-d’œuvre, la SAQ, sans étonnement, ne parvient pas à consolider son personnel, comme en témoignent les taux de roulement ahurissants, particulièrement à Montréal.

Fragiliser le réseau

La SAQ est responsable de la mise en marché d’un produit dont les répercussions en matière de santé publique sont particulièrement importantes. Une mission fort complexe qui justifie la présence de cette société d’État – tout comme les revenus de ce commerce, qui contribuent de façon essentielle à nos services publics.

Devant les impératifs imposés par une telle mission, il est surprenant de voir la SAQ banaliser le commerce de l’alcool en favorisant les ventes en ligne et en acceptant que des intérêts privés accaparent les nouveaux marchés. Les nouvelles « agences SAQ » sont loin de l’image d’antan du dépanneur au Lac-à-l’Achigan. En bordure d’autoroute et dans de nouvelles banlieues, on voit apparaître ces gros liquor stores privés offrant une multitude de vins et de spiritueux grâce aux permis d’agences accordés par la SAQ.

Pourquoi vouloir ainsi fragiliser un réseau de succursales qui fait la fierté des consommateurs, tant sur le plan de la qualité du service que des comptes publics ? Pourquoi ne pas vouloir consolider le service à la clientèle et les ventes en succursale en y consacrant minimalement autant d’efforts que ceux dévolus au développement des ventes en ligne ?

Centralisé à Montréal, basé sur un modèle de livraison aux délais incompressibles, le nouveau centre de distribution de la SAQ coûtera à lui seul des centaines de millions de dollars, alors que les résultats du commerce en ligne démontrent que les ventes ont déjà plafonné. La nouvelle ou le nouveau chef de la direction de la SAQ devra nous expliquer comment il entend relever ce défi.

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