Lorsque l’Assemblée générale des Nations unies a adopté quasi unanimement la résolution exigeant le retrait de la Russie de l’Ukraine le 23 février dernier, l’un des constats les plus marquants était le poids de l’Afrique parmi les pays abstentionnistes.

Les démocraties libérales doivent y voir un signal d’alarme, car cet abstentionnisme est le symptôme d’une Afrique qui s’éloigne de plus en plus de ses partenaires occidentaux pour se rapprocher d’autant des puissances chinoise, indienne et russe.

Ce fossé s’est même creusé au cours de la dernière année. Lors de la première résolution appelant au retrait des forces russes de l’Ukraine en mars 2022, dix-sept pays africains se sont abstenus et huit se sont absentés. Seule l’Érythrée a voté contre cette résolution. En février dernier, le nombre de pays africains qui se sont abstenus est passé à 22 et le Mali s’est ajouté à l’Érythrée pour voter contre la résolution.

Risque de divorce à bas bruit

Il devient donc impératif pour les pays occidentaux, dont le Canada, de vivifier leur alliance avec l’Afrique et de remédier aux causes de la désoccidentalisation qui séduit de plus en plus le Sud global.

Les puissances indo-sino-russes sont promptes à rappeler que contrairement à l’Occident, plus spécifiquement l’Europe, elles n’ont colonisé aucun pays africain. Elles ont même soutenu des mouvements de libération dans les années 1950 et 1960.

Vues du continent, les valeurs occidentales sont aussi de moins en moins considérées comme universelles. L’idéal civilisationnel occidental ne correspond pas nécessairement aux aspirations des peuples africains.

Selon Dominique de Villepin, le continent africain est de plus en plus habité par un sentiment anti-occidental, un sentiment amplifié par la lutte « anti-impérialiste » à laquelle se livrent les puissances indo-sino-russes au nom du Sud global.

Sans oublier que l’imaginaire collectif africain est déçu par la solidarité sélective dont il est victime. Certaines diasporas africaines ne peuvent s’empêcher de déplorer, avec une certaine amertume, que la solidarité démontrée par les pays occidentaux envers le peuple ukrainien a rarement été manifestée à l’égard des drames du continent africain.

Plus stratégique qu’on ne le croit

Depuis quelques années, les activités de nature militaire de la Chine, de l’Inde et de la Russie se sont accrues en Afrique en raison de leur volonté d’étendre leur influence.

Que ce soit pour garantir son accès aux marchés et aux ressources, ou pour protéger ses citoyens et ses entreprises qui s’y trouvent, la Chine solidifie sa présence militaire sur le continent.

Elle a d’ailleurs inauguré en 2017 sa première base militaire sur le continent, à Djibouti.

Inquiète de l’influence grandissante de la Chine dans la Corne de l’Afrique, notamment, l’Inde multiplie de son côté ses installations militaires dans l’océan Indien depuis l’inauguration de sa base navale de surveillance au nord de Madagascar en 2007. Elle ne cache pas non plus son ambition d’installer une trentaine de stations côtières de surveillance, notamment à l’île Maurice et aux Seychelles.

Alors que les Chinois instrumentalisent leur présence militaire sur le continent à des fins économiques, la Russie a, pour sa part, des motivations principalement sécuritaires. Tandis qu’elle aspire à devenir le premier fournisseur d’armes en Afrique (entre 2017 et 2021, 44 % des ventes d’armes sur le continent étaient assurées par la Russie), elle y opère militairement de manière fragmentée, essentiellement par le recours à des mercenaires de l’organisation paramilitaire Wagner. Pour appuyer les missions de lutte contre la piraterie dans la région et pour contrôler les lignes de communication maritimes passant par la mer Rouge, la Russie a choisi le Soudan pour y installer sa base navale.

Vers une nouvelle alliance

Avec le retour de la politique de non-alignement des années 1960, l’Afrique s’attend à une alliance avec les pays occidentaux qui reconnaît non seulement son autonomie, mais aussi et sans ambiguïté son droit à la prospérité.

D’autant plus qu’en réponse à la rivalité que lui imposent les puissances indo-sino-russes sur la scène internationale, l’Occident a besoin de renouveler son alliance avec l’Afrique. Une alliance partenariale censée répondre non seulement à ses attentes, mais aussi aux intérêts de ses partenaires africains. Pas uniquement par vertu, mais surtout par nécessité.

Encourager la coopération économique par l’investissement et la synergie des chaînes de valeur, mettre la culture au service de la diplomatie, miser sur la coopération universitaire, mobiliser la diaspora africaine, multiplier les visites diplomatiques, opter pour des opérations militaires coordonnées et fondées sur la non-ingérence, renforcer la connectivité aérienne et maritime sont autant d’actions à déployer pour renouveler cette alliance sur des bases pérennes.

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