Les leaders politiques sont nombreux à vouloir laisser un legs durable à la société à laquelle ils appartiennent, que ce soit en lançant de grands projets de développement, en créant des institutions appelées à jouer un rôle fondamental ou en orchestrant des réformes d’envergure dans un domaine ou un autre de la vie collective. Certains y parviennent.

Premier ministre du Québec élu pour la première fois en mai 1970, Robert Bourassa répond sans contredit à la définition de grand visionnaire. Reconnu comme le « père de la Baie-James », cet économiste de formation était profondément convaincu de la valeur de l’hydroélectricité et de l’opportunité de développer l’énorme potentiel énergétique des grandes rivières du Nord québécois.

Lancé lors d’un ralliement politique le 30 avril 1971, il y a quelque 50 ans, le « projet du siècle » devient peu après le plus important projet d’aménagement hydroélectrique au monde alors en cours de réalisation, le complexe La Grande.

C’est le début d’une grande aventure humaine pour des dizaines de milliers de Québécois et de Québécoises qui y contribueront de diverses manières.

Il est important de souligner qu’il y avait urgence : Hydro-Québec entrevoyait ne pas pouvoir répondre à la pointe d’hiver de 1980 sans l’addition de nouvelles capacités de production, qu’elles soient nucléaires ou hydroélectriques. Or, plusieurs auraient préféré le nucléaire parce que plus rapide à construire et à mettre en service que des barrages. De plus, l’aménagement de la Grande Rivière, à plus de 1000 km à vol d’oiseau de Montréal, comportait des risques très importants, surtout logistiques et techniques, et beaucoup d’inconnues. Mais M. Bourassa a insisté, le calendrier des mises en service a été accéléré, et la direction d’Hydro-Québec, Roland Giroux et Robert Boyd en tête, a finalement donné son accord.

La responsabilité de la réalisation des travaux est confiée à la Société d’énergie de la Baie-James, créée expressément à cette fin. Afin de composer rapidement une équipe hautement qualifiée, le personnel provient majoritairement de deux firmes d’ingénierie mondialement connues, Lavalin (aujourd’hui SNC) et l’américaine Bechtel. Cette dernière avait notamment été impliquée dans le mégaprojet des chutes Churchill, réalisé avec succès à l’intérieur des temps et des budgets. L’idée d’associer Bechtel à celui de la Baie-James, venue de Bourassa lui-même et de son équipe, vise à rassurer les financiers américains.

Désenclaver le territoire

Le projet s’inscrit dans un immense territoire encore vierge et non relié au réseau routier. Une route de 620 km doit donc être construite pour relier Matagami à LG-2, la première centrale mise en chantier. En fait, une route d’hiver dès 1972, puis une route permanente parachevée en trois ans… un exploit en soi. Ce désenclavement du territoire de la Baie-James permet aujourd’hui d’y mener d’autres types d’activités économiques, minières et touristiques. C’était d’ailleurs le rêve derrière la création de la Société de développement de la Baie-James.

Très tôt, un obstacle majeur remet le projet en question. Les Cris et les Inuits, qui n’avaient pas été dûment consultés, tentent de bloquer le projet, à la fois devant l’opinion publique et devant les tribunaux. C’est ainsi que s’amorcent d’intenses négociations avec le gouvernement du Québec qui se concluront en 1975 par la signature de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, qualifiée de modèle en son genre. En parallèle, un vaste inventaire environnemental et social est entrepris afin de mieux connaître ce nouveau territoire, sa faune, sa flore, ses écosystèmes et le mode de vie de ses occupants, et d’atténuer les impacts du projet.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

La centrale hydroélectrique Robert-Bourassa/La Grande 2 en 2018

Ce genre d’étude deviendra la norme pour tout grand projet. Autre imprévu, le saccage de LG-2 de 1974 vient ternir l’image du projet. La commission Cliche est rapidement mise sur pied par le gouvernement Bourassa afin de faire la lumière sur les relations patronales-syndicales et de recommander des mesures d’assainissement. Des mécanismes novateurs de conciliation seront mis sur pied, et la paix reviendra sur les chantiers.

Malgré toutes ces embûches, les travaux avancent conformément à l’échéancier et le 27 octobre 1979 a lieu l’inauguration de la centrale souterraine de LG-2. Mission accomplie !

René Lévesque, premier ministre du Québec, préside aux cérémonies. Ayant eu la délicatesse d’y inviter Robert Bourassa, il en profite alors pour lui rendre un vibrant hommage. Le père de la Baie-James, que l’un de nous accompagnait, a reçu cette expression de reconnaissance avec toute l’humilité qu’on lui connaissait.

Si aujourd’hui le Québec peut se targuer d’avoir le réseau électrique le plus propre d’Amérique du Nord, voire du monde entier, ainsi que les tarifs parmi les plus bas, c’est en grande partie grâce à la vision éclairée et à l’audace de Robert Bourassa. Évalué à 5 ou 6 milliards de dollars sur la base d’études très préliminaires, le Complexe La Grande représentait un défi colossal. Mais, un demi-siècle plus tard, l’auteur de L’énergie du Nord, force du Québec a gagné son pari haut la main. Nous avons toutes les raisons d’être fiers de cette réussite collective dont les bénéfices rejailliront encore sur de nombreuses générations à venir. Merci, Monsieur Bourassa.

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