Une fois par mois, La Presse, inspirée par le Questionnaire de Socrate du magazine français Philosophie, interroge une personnalité sur les grandes questions de la vie. Ce dimanche, Robert Lepage, dont la dernière création théâtrale, Le projet Riopelle, d’Ex Machina, est présentée à Montréal, puis à Québec, brise la glace et inaugure la rubrique.

Qui suis-je ?

Un garçon timide, qui se cache constamment derrière le groupe et l’aventure collective pour essayer de ne pas trop se faire remarquer. Un artiste perdu dans le répertoire qui allume des feux un peu partout et qui peine ensuite à les éteindre. Un guide irresponsable qui égare ses collaborateurs dans des sentiers peu éclairés.

La chose la plus surprenante que vous avez faite par amour ?

Oublier qui j’étais. Donner l’ascendant à une autre personne au point de renoncer à ma personnalité, mes opinions, mes goûts, mon sens de l’humour, pour ne devenir que l’ombre de moi-même. Et tout ça… par amour.

Quel est votre démon, ce qui tourmente votre conscience ?

De ne jamais être capable de dire les choses comme elles le sont vraiment. Un handicap parfois perçu par les autres comme de l’hypocrisie ou de la malhonnêteté. Il est vrai que j’ai toujours peur de blesser certaines personnes ou d’offenser certaines sensibilités. Or, il m’arrive trop souvent d’être entouré par des bien-pensants qui se targuent d’être honnêtes et de toujours dire la vérité, quand ils s’avèrent eux-mêmes incapables de l’entendre, cette vérité.

Un philosophe ou un auteur qui vous accompagne depuis longtemps ?

Bertolt Brecht. Un des plus grands auteurs dramatiques et théoriciens du XXe siècle. Il défendait l’utopie socialiste avec une belle dialectique rigoureuse. Bien sûr, il était plein de contradictions, prétentieux, opportuniste… mais quel poète ! Il nous laisse en héritage une façon éclairée de voir le monde et une œuvre qu’on peut se permettre de s’approprier, d’adapter, de piller ou de déchiqueter comme il le faisait si bien lui-même avec les grands auteurs qui l’ont précédé.

Le lieu (ou l’état d’esprit) parfait, selon vous ?

Quand les problèmes professionnels s’ajoutent aux préoccupations personnelles dans un chaos frénétique, je me réfugie dans des fantasmes érotiques. Ces fantasmes sont de hauts lieux de détente et de créativité et n’impliquent pas que mon cerveau, mais semble stabiliser mon organisme au grand complet. Les peuples du Nord, dans les jours les plus difficiles de leur hibernation, n’ont-ils pas développé un répertoire foisonnant de contes érotiques qui n’ont rien à envier aux Contes des mille et une nuits ?

Comme Doug Wright fait dire au marquis de Sade : ‟Si Dieu n’avait point voulu que j’utilise mon imagination, il ne m’aurait point muni de deux mains diligentes. J’écris de l’une, laissant l’autre libre de jouir des fruits de la première !”

Robert Lepage

Un rêve (ou cauchemar) récurrent ?

À quelques jours d’un soir de première ou dans la semaine qui précède l’aboutissement d’un projet, je rêve systématiquement que je suis à bord d’un avion en plein vol ; parfois comme passager, mais plus souvent comme pilote aux commandes. Évidemment, la taille de la carlingue est souvent proportionnelle à celle des projets et les envolées sont toujours précaires, pleines de turbulences. Le fait que l’appareil demeure dans les airs tient du miracle. La plupart du temps, l’appareil finit par se poser en toute sécurité sur le tarmac, mais il m’est arrivé quelques fois d’avoir à subir les aléas d’un atterrissage casse-cou.

Quel autre métier auriez-vous voulu faire ?

Professeur de géographie ou, du moins, cartographe. À 6 ans, je connaissais déjà les noms de tous les territoires et provinces canadiennes ainsi que leurs capitales. Je pouvais passer des heures à contempler des mappemondes géantes expliquant les divisions du monde. Évidemment, il m’a fallu attendre les premiers voyages à l’étranger pour comprendre pourquoi le monde était aussi divisé. Au XIXe siècle, quand le grand photographe Nadar est monté pour la première fois dans une montgolfière, il fut étonné de découvrir que du haut des airs, les frontières ne semblaient pas exister, donnant l’impression illusoire d’une cohabitation pacifique entre les peuples.

Ce qui vous fâche dans la vie ?

L’ignorance. Elle est la cause de tous les maux. Elle engendre la peur, le racisme, le fascisme. Elle est souvent enseignée dès la petite école et est entretenue par des discours politiques haineux prononcés par des hommes ignorants. Mais difficile de l’enrayer complètement de nos vies, car l’ignorance est si confortable.

Une belle mort, selon vous…

Je ne possède en moi pas une once de tendances suicidaires, mais j’avoue que je préférerais choisir ma mort que de la laisser me surprendre. C’est un moment trop important que j’aimerais vivre pleinement. Morbide ? Non, pas du tout.

Complétez. Si Dieu existe…

… il faudrait peut-être qu’il se fasse entendre. Cela ferait taire les imbéciles qui depuis toujours lui mettent des mots dans la bouche.

Ce dimanche, à 13 h 30, Robert Lepage participera à l’évènement-bénéfice du Diamant, à Québec. Le spectacle d’Ex Machina sera à l’affiche au Diamant, du 19 octobre au 19 novembre. Tous les billets sont vendus pour les représentations chez Duceppe, à Montréal, jusqu’au 11 juin.