Vous avez probablement tous déjà vu ou entendu des publicités de médicaments pour la perte de poids ou pour les troubles de dysfonction érectile. La prochaine fois que vous en remarquerez une, portez attention à ce précieux détail : la raison d’utiliser le médicament n’est jamais divulguée.

L’explication est simple. Au Québec, il est interdit de faire de la publicité pour les médicaments d’ordonnance, sauf si leur indication n’y figure pas.

Quant aux médicaments en vente libre et aux produits de santé naturels, vous l’aurez deviné, c’est permis. Pourvu que l’information mise de l’avant ne soit pas fausse, trompeuse ni exagérée. Cependant, les professionnels de la santé n’ont pas le droit de faire la promotion de produits de santé, selon leur code de déontologie. C’est pourquoi les compagnies se tournent vers des influenceurs qui ne sont pas dans le domaine de la santé pour leur offrir des partenariats rémunérés.

Gouttes pour les yeux, analgésiques, médicaments pour le rhume, on en voit de toutes sortes sur les réseaux sociaux. Les influenceurs doivent en parler de façon positive, expliquer en quoi ce produit les aide. Bref, le but est d’inciter (indirectement) à la consommation du médicament promu.

Prenons par exemple une publication que j’ai vue récemment sur des gouttes antibiotiques pour les yeux. L’influenceuse raconte qu’elle a grandi avec les produits de cette marque et qu’elle trouve leurs gouttes ophtalmiques très utiles pour traiter les conjonctivites bactériennes, qui peuvent être très fréquentes chez les petits. Elle dit toujours en avoir sous la main, surtout en tant que maman, juste au cas. Elle réfère ensuite les gens vers un lien où se procurer ledit médicament en ligne. Bien qu’aucun des propos énoncés ne soit faux, j’éprouve un énorme malaise avec ce type de partenariat.

Contourner le jugement du pharmacien

Premièrement, les gouttes antibiotiques ne sont pas toujours nécessaires pour traiter les symptômes oculaires. Même si l’influenceuse ne le dit pas explicitement, ses propos peuvent inciter les gens à débuter le traitement dès que des symptômes apparaissent, ce que je ne recommande pas du tout à mes patients. Utiliser les gouttes lorsqu’elles ne sont pas indiquées peut même parfois aggraver la condition.

Deuxièmement, au Québec, se procurer ces gouttes requiert une consultation avec un pharmacien pour qu’il veille à l’usage approprié du médicament. Cependant, l’hyperlien associé à ce partenariat rémunéré permet de commander le produit par la poste en provenance d’une autre province, où le médicament est en vente libre sans nécessiter une consultation du pharmacien. Le fait de référer vers ce lien vient donc directement contourner le jugement professionnel du pharmacien prévu par la loi au Québec. Cela empêche le pharmacien de bien faire son travail, soit d’offrir des soins optimaux et, surtout, individualisés.

Une pratique illégale ?

Mais n’est-ce pas illégal de promouvoir la consommation d’un médicament si l’on n’est pas professionnel de la santé ? Quand pouvons-nous considérer qu’un influenceur fait de la pratique illégale de la pharmacie ? Quand pouvons-nous interpréter ses propos comme des recommandations de santé ?

C’est là que ça se corse. Tout se joue dans les nuances. La réglementation de Santé Canada précise que « la publicité et le marketing [des produits de santé] sont illégaux si les allégations :

  • sont fausses, trompeuses ou mensongères ;
  • ne fournissent pas une représentation équilibrée des avantages et des risques ;
  • ne sont pas conformes aux conditions de l’autorisation de mise en marché du produit1.

Dans ce cas-ci, l’influenceuse n’a pas fait d’affirmations fondamentalement fausses ou trompeuses. Bien qu’elle n’ait pas vraiment parlé des risques, elle mentionne tout de même de lire les directives sur l’emballage avant d’utiliser les gouttes. Elle n’a pas non plus explicitement incité à la consommation de médicaments, puisqu’elle a simplement partagé qu’elle garde le produit à portée de main, sans suggérer directement à ses abonnés de faire de même. Ainsi, rien ne semble illégal dans cette publicité à proprement dit.

Ce qui m’irrite, c’est que même si l’information n’est pas officiellement présentée comme un conseil, n’importe qui est capable d’interpréter ce contenu comme une recommandation déguisée.

Je me pose vraiment la question : pourquoi est-ce encore acceptable de laisser des gens sans formation en santé, surtout avec des centaines de milliers d’abonnés, parler de santé et de produits de santé ?

Même si c’est techniquement légal, je trouve que c’est jouer sur les mots et c’est irresponsable.

À quand l’adaptation des règlements encadrant la promotion de la santé pour refléter la réalité de notre ère numérique ?

J’espère qu’un jour, nous arriverons collectivement à laisser les experts en santé parler de santé, et personne d’autres. Une bonne fois pour toutes.

1. Consultez le site web du gouvernement fédéral sur la surveillance de la publicité et du marketing Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion