Nous étions en février 1998. L’hiver était mordant et la vie était rude. Assise sur le carrelage glacé de l’étroite salle de bain de la résidence étudiante, je ne lâchais pas des yeux les deux barres roses. Peut-être que si je les fixais assez, longtemps et intensément, elles finiraient par disparaître. Mais rien ne s’est passé. Rien de magique, en tout cas.

J’avais 19 ans et ma vie était un véritable chaos. Le bordel me poursuivait, à moins que ce ne fût moi qui le semais. Qu’importe, là, j’étais dans la dèche. À l’époque, je travaillais à temps partiel dans un magasin de valises et je gagnais 6,90 $ l’heure. Une vraie misère. Mon immaturité était à la hauteur de mes excès : démesurée.

J’étais paniquée. Complètement atterrée.

Cet enfant, enfin cette chose dans mon ventre qui en serait devenu un au bout de neuf mois, je le voulais. Je l’aurais aimé, Dieu que je l’aurais adoré. Parce que de l’amour, ça oui, j’en avais à donner. Mais pour le reste, qu’aurais-je pu lui offrir ? Rien, c’est ce que je me disais à l’époque. Et au bout de toutes ces années, je pense encore la même chose. Au-delà des considérations financières, j’avais les poches vides d’expériences, de résilience, de courage et de jugement. En fait, de tout ce qui façonne un parent, puisque j’étais moi-même, à bien des égards, une petite fille.

J’étais enceinte de sept semaines. Il est puissant, le déni ! Je devais m’activer, trouver les 300 $ pour payer la procédure (une FORTUNE), trouver une clinique, faire les écographies et subir. Subir le jugement du personnel, les remarques négligentes de la travailleuse sociale, les sermons du médecin, la horde de militants antiavortement affublée de pancartes exposant des fœtus et mon propre regard dans le miroir. Il ne faut pas croire, élevée dans la religion catholique, je me dégoûtais. L’avortement était légal, mais il était toujours et pour plusieurs amoral. Quelle traînée je faisais !

Mais le pire, ce n’est pas le souvenir des bruits. De l’acte. De la fin.

Le plus horrible, c’est de savoir qu’on croit encore et trop souvent que les femmes qui avortent sont désinvoltes. Aussi froides qu’un jour de février.

À l’hiver 1998, je n’ai pas choisi de ne pas donner la vie, j’ai choisi de ne pas interrompre la mienne, pour que je puisse continuer de grandir afin qu’un jour, au moment désiré, je fabrique autant d’enfants que je le souhaiterais.

On pourrait se dire, aujourd’hui, que les choses sont plus simples, que la procédure est gratuite, que les femmes peuvent décider plus aisément, mais c’est un leurre. Le coût de l’avortement est mental et physique. Son prix est aussi social, déterminé en fonction du jugement des convictions de tout un chacun, taxé d’une menace oppressante : le démantèlement de notre liberté de choisir.

Ayons l’œil ouvert sur ce qui se passe aux États-Unis, pour éviter que la froideur de février ne devienne un véritable vortex polaire.

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