La grève des fonctionnaires de l’Agence du revenu du Canada et du Conseil du Trésor vient à peine de commencer que Justin Trudeau prévient les grévistes que les Canadiens vont perdre patience. Rien n’est moins incertain. Qui n’a pas rêvé qu’une décision soit suspendue lorsque le fisc exige un remboursement pour somme impayée ou que l’impôt soit finalement payé sans pénalité après la date de tombée.

A priori, une grève dans un service public est implicitement impopulaire. Mais s’il y en a une susceptible d’obtenir l’appui de la population, c’est certainement celle de l’impôt.

Les grévistes cognent ainsi à la porte de l’argent qui finance les activités du gouvernement. Ils ne sauraient frapper plus fort. Par ailleurs, contrairement au Québec, il n’existe pas de dispositions anti-briseurs de grève au niveau du gouvernement fédéral. Ainsi, pendant une grève, un employeur sous l’égide du Code canadien du travail peut légalement utiliser les services d’individus pour remplacer la main-d’œuvre en grève, ce que la ligne syndicale de piquetage l’empêche de faire.

Mais le télétravail change la donne. Au début de 2021, selon Statistique Canada, 32 % des employés canadiens, âgés de 15 à 69 ans, tous secteurs industriels confondus, effectuaient la plupart de leurs heures de travail à partir de la maison, comparativement à seulement 4 % en 2016.

Comme l’emploi d’un fonctionnaire de l’impôt se prête abondamment au télétravail, la possibilité pour l’employeur de limiter les effets de la grève en sollicitant le travail à distance est une réalité glaciale.

Pour contrer cela, le syndicat compte sur l’adhésion de ses membres à sa cause tout en étant conscient que le télétravail limite implicitement les effets de la ligne de piquetage.

Membres de l’Alliance de la fonction publique du Canada, 155 000 fonctionnaires sont en grève depuis le 17 avril. C’est presque la moitié des 340 000 fonctionnaires fédéraux. Leur convention collective est échue depuis le 31 octobre 2021. Les fonctionnaires fédéraux sonnent le gong, mais les enjeux qu’ils soulèvent sont également vécus par la plupart des Canadiens. Quels sont ces enjeux ?

Salaire, télétravail et droit à la déconnexion

D’abord le salaire ! Dans la tourmente inflationniste, les salariés veulent protéger leur niveau de vie. S’impose alors une formule d’indexation des salaires au coût de la vie à l’image de celle dont bénéficient déjà les retraités de la fonction publique. Or l’employeur offre 3 % par année pendant trois ans. Mais les retraités viennent de voir leur rente revalorisée annuellement de 6 % pour compenser l’inflation. Pour la première fois dans l’histoire des relations de travail au Canada, la majoration de l’indemnité versée aux retraités modélise les salaires en carrière.

Issu d’un contexte pandémique, le télétravail semble là pour de bon. Par conséquent, les grévistes souhaitent l’intégrer dans leur convention collective.

L’employeur y est réticent. Le télétravail, circonstanciel pendant la pandémie, s’installe comme mode de fonctionnement, en post-pandémie. Il devient ainsi un nouvel enjeu de négociation collective.

Vient le droit à la déconnexion du travail. Adieu les courriels, les messages ou les appels téléphoniques liés à l’emploi en dehors des heures de travail. Les réserves de l’employeur à ce sujet découlent d’un principe d’urgence. Le droit à la déconnexion est déjà implanté en Europe occidentale, mais son insertion en Amérique du Nord soulève une opposition patronale liée à des impératifs d’efficacité.

Sur le plan de la sécurité d’emploi, le syndicat entend faciliter le replacement des fonctionnaires mis à pied ou excédentaires. Il souhaite également réduire le recours à la sous-traitance que l’employeur place au rang de la flexibilité opérationnelle. Quant à la privatisation, l’employeur la voit comme un facteur d’efficience alors que le syndicat y voit une menace à la qualité des services étatiques.

Ces nouveaux enjeux de négociation traduisent les besoins d’une société qui traverse une crise générationnelle. Les jeunes veulent conserver les avantages installés dans les organisations comme les salaires ou les congés. Mais ils souhaitent aussi que les entreprises se responsabilisent davantage face à de nouveaux besoins sociétaux comme le télétravail. Or les solutions pour adapter le fonctionnement des entreprises aux nouvelles exigences de la société ne sont pas suffisamment au rendez-vous.

À cet égard, la grève des fonctionnaires de l’impôt soulève de nouveaux enjeux que la majorité des travailleurs canadiens s’approprient. Ce faisant, elle évoque des problématiques qui hanteront probablement les négociations collectives futures dans divers domaines industriels. La grève de l’impôt traduit aussi un profond malaise chez les fonctionnaires fédéraux qui interpelle la qualité du management. Malgré une négociation collective léthargique depuis plus d’une année, la pression de la grève devrait produire ses effets. Mis sous pression, les acteurs sociaux concernés sont potentiellement capables de régler leur conflit de travail dans un temps raisonnable surtout s’ils sont guidés par un médiateur compétent.

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