Nous avons discuté, lundi1, du fait que l’UQAM est relativement plus performante à recevoir des subventions de fonctionnement que d’autres établissements. Nous n’examinions dans ce texte que la subvention principale de Québec destinée au fonctionnement des établissements. Nous nous demandons dans ce deuxième texte si l’UQAM est victime « d’iniquités linguistiques » en regardant son financement total.

Aux fins de comparaison, on ajoute donc à la subvention de fonctionnement provinciale les fonds privés (droits de scolarité, dons, revenus de placement, etc.), les subventions fédérales et les subventions provinciales destinées aux infrastructures. Cette dernière subvention est accordée sur la base de la dépréciation des bâtiments, en prépondérance sur les campus anglophones. On aura récemment fait état de cette iniquité apparente en soulignant une subvention généreuse accordée à McGill au dernier budget.

C’est cependant un prisme d’analyse incomplet que d’analyser uniquement les subventions d’infrastructures. On pourrait en fait argumenter le contraire, à savoir qu’on finance le remplacement de ces bâtiments justement parce qu’ils sont dépréciés. Si on souhaite analyser correctement l’équité des subventions d’infrastructures, il faut aussi tenir compte de l’état des bâtiments et de leur valeur (ce qui constitue la base de l’évaluation faite par Québec). Et attention aux faux amalgames : un examen de certains projets d’infrastructures financés chez les universités anglophones montre également l’intégration d’activités d’établissements francophones. Cette conception d’avantage conféré « aux Anglais » est également à nuancer.

En matière de subvention fédérale et de revenus privés, il ne fait aucun doute que McGill est championne (figure 1a). Ses revenus de droits de scolarité sont très élevés. Des changements aux règles provinciales permettent aux établissements universitaires de renoncer aux subventions de fonctionnement de Québec en échange d’une tarification étudiante arbitrairement élevée, que le gouvernement autorise alors à conserver.

McGill et Concordia ont exercé ce droit pour certains programmes. Ce faisant, ces établissements peuvent facturer des montants plus élevés et Québec peut alors redistribuer les fonds auparavant accordés à ces programmes aux autres établissements. Cette approche augmente ainsi les ressources disponibles dans les universités anglophones, mais aussi pour les autres établissements. Évidemment, cette approche génère des inégalités.

Ces inégalités sont institutionnelles, mais aussi étudiantes, car les étudiants québécois bénéficient d’une subvention plus élevée parce que des étudiants internationaux paient davantage. C’est une « taxe internationale » finançant les Québécois.

Signalons finalement que c’est l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), une petite université francophone de l’Université du Québec, qui trône au sommet du palmarès du plus haut financement total par étudiant (figure 1b). L’INRS n’est certainement pas une université de grande taille, mais rappeler sa position au palmarès sert à mieux départager les faits en matière de financement d’un narratif visant à opposer les établissements sur une base linguistique.

Déshabiller John pour habiller Paul ?

Le thème de la langue fait bien sûr vibrer le Québec. C’est peut-être pour cette raison qu’on l’exploite pour parler de financement des universités. Ce dernier sera aussi malmené si on l’examine à travers d’autres prismes qui résonnent tantôt avec des lectorats ou des électorats : les immigrants, les étudiants gauchistes, l’îlot Voyageur, le néolibéralisme, ou tout autre thème cristallisant l’opinion. Si on cherche une solution, il faudra plutôt s’attarder à rapprocher des intérêts contraires. On pourrait modifier la subvention accordée à l’UQAM pour qu’elle dépende dans une proportion plus faible des inscriptions.

De plus, certains programmes de financement visant à soutenir la philanthropie (le programme « Placement Université ») ont une efficacité douteuse, et contribuent certainement au déséquilibre de financement privé entre établissements. Ces fonds pourraient certainement être utilisés à meilleur escient.

En sus, l’UQAM pourrait repenser son offre de programmes par l’examen de ceux qui battent de l’aile, mais également en se faisant donner la possibilité d’en ouvrir dans des disciplines « payantes » et jugées prioritaires pour le marché du travail (par exemple, sciences infirmières).

Ce sont les travaux de Daniel Parent (HEC Montréal) qui sont les plus convaincants pour illustrer l’impact de la création de l’Université du Québec sur la scolarisation des francophones de la province. Ces derniers ont vu leur scolarisation augmenter plus rapidement que les francophones des provinces voisines, sans réseau dédié (bien sûr, les cégeps ont aussi aidé). La scolarisation et le revenu des parents sont les facteurs les plus importants pour influencer la scolarité des plus jeunes. Les institutions qui amènent les jeunes de milieux non scolarisés à l’université contribuent non seulement à la scolarisation immédiate, mais créent également de futurs parents scolarisés. Ces derniers influencent à leur tour leurs enfants et ainsi de suite.

Ce rôle de catalyseur intergénérationnel sied particulièrement bien à l’UQAM. À peine deux générations après sa création, il serait peut-être prudent de lui laisser le temps (et l’argent) requis pour faire son œuvre. Cette prolongation contractuelle devrait cependant servir de rappel à sa communauté, à ceux qui la financent et aux détracteurs des universités anglophones : une université sans étudiant ne scolarise personne. En guise de coupable, il faut regarder le marché du travail.

1. Lisez « L’UQAM, les ingénieurs et les anglais » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion