À quelques mois de la publication d’une stratégie provinciale pour les caribous forestiers et montagnards, les pressions se font sentir de toutes parts pour influencer les décisions qui seront prises par le gouvernement.

Un important reportage publié la semaine dernière1 est venu mettre en lumière les pressions exercées par certains élus des régions de la Côte-Nord et du Saguenay–Lac-Saint-Jean – rassemblés sous la bannière de l’Alliance Forêt Boréale – ainsi que leurs liens avec l’industrie forestière. Ce groupe s’est ouvertement opposé à la création d’aires protégées dans le passé. Il a nié à plusieurs reprises l’impact de l’industrie forestière sur le caribou, malgré le lot de preuves scientifiques démontrant qu’il s’agit d’une des principales menaces pour l’espèce.

Des ministères en concurrence ?

Le fait que l’Alliance Forêt Boréale soit financée principalement par le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation démontre que la considération de la biodiversité n’est toujours pas acquise de manière transversale au sein de l’appareil gouvernemental.

Encore une fois, on assiste au triste spectacle de ministères qui travaillent les uns contre les autres, alors qu’une action concertée est plus que jamais nécessaire pour freiner la sixième extinction de masse des espèces animales et végétales.

En décembre dernier, à la suite de la COP15 sur la biodiversité à Montréal, un nouveau cadre mondial de la biodiversité a été adopté. La cible 14 de ce cadre prévoit que les gouvernements intègrent la biodiversité et ses valeurs dans tous les processus décisionnels.

Le Cadre mondial, auquel sont liés le Québec et le Canada, prévoit également la protection de 30 % du territoire terrestre et marin d’ici 2030. Alors que le Québec compte environ 17 % d’aires protégées, la protection du caribou forestier sera une opportunité incroyable de cheminer vers cette nouvelle cible. Selon nos estimations, plus de 35 000 km2 de territoires prioritaires pour le caribou pourraient être protégés dès maintenant, ajoutant plus de 2 % d’aires protégées à l’échelle du Québec.

C’est également une occasion en or de soutenir la protection du territoire par les peuples autochtones – un engagement du premier ministre lors de la COP15. Plusieurs communautés sont déjà en mode solutions, comme les Innus de Pessamit qui proposent de protéger le secteur du Pipmuakan, sur la Côte-Nord.

Pas d’omelettes sans casser des œufs

Beaucoup redoutent que la protection du caribou mette en péril les emplois du secteur forestier à cause d’une réduction potentielle des volumes de bois récoltés. Nous sommes sensibles à cette question et maintenons qu’il faut chercher à minimiser les impacts sur les travailleuses et travailleurs du secteur forestier. C’est chose faisable : une grande aire protégée de plus de 10 000 km2 a été créée il y a quelques années dans le secteur des Montagnes Blanches, au nord du Saguenay–Lac-Saint-Jean, sans impact notable sur l’industrie et ses travailleurs.

Il faut assurer aux communautés et aux travailleurs touchés une transition juste, comme cela a été fait pour d’autres secteurs industriels dans le passé.

Par contre, il faut également s’assurer que l’information économique sur laquelle se base le gouvernement soit adéquate. Trop souvent, on nous a fait miroiter des scénarios catastrophiques de pertes d’emploi sans base scientifique rigoureuse2. Le reportage publié mardi dernier démontre l’importance d’un journalisme d’enquête rigoureux et de la vérification des faits avec des experts.

Dans un dossier comme celui du caribou forestier, l’histoire a démontré que plus on attend, plus on perd de marge de manœuvre. Il est grand temps de travailler ensemble pour régler ce dossier une fois pour toutes.

1. Consultez l’enquête de La Presse « Alliance forêt boréale : Des maires au service de l’entreprise privée ? » 2. Consultez l’article dénoncé par l’auteur « Industrie forestière : 31 emplois perdus pour chaque caribou sauvé ? » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion