Le projet de loi sur « l’encadrement » du travail des enfants, actuellement devant l’Assemblée nationale, porte bien son nom : le gouvernement entend baliser – pour ne pas dire banaliser – un phénomène qui, ailleurs, susciterait le débat.

La loi vise d’abord à fixer un âge minimum d’admissibilité à l’emploi. En l’état actuel du droit québécois, un garçon de 5 ans pourrait travailler à temps plein (puisque l’obligation de fréquentation scolaire ne commence qu’à 6 ans). Il suffirait qu’un de ses parents soit d’accord. Cette absurdité juridique sera donc corrigée, l’âge minimum étant désormais fixé à 14 ans.

Qui se compare se console ? Dans la plupart des pays européens, on commence à travailler à 16 ans ; dans certains pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques, notamment au Mexique et en Turquie, à 15 ans. Quatorze ans est l’âge minimum dans certains États américains comme New York – pendant la période scolaire.

Le projet de loi québécois limite à 17 heures le nombre d’heures travaillées par semaine. Encore là, la ressemblance est frappante avec l’État de New York, où la limite hebdomadaire est de 18 heures. Mais, contrairement aux jeunes New-Yorkais, les Québécois de 14 ou 15 ans n’auront pas droit à une journée de congé hebdomadaire obligatoire1. Ce n’est pas prévu, en tout cas, dans le texte du projet de loi 19.

Ce nombre de 17 heures, tiré d’un récent rapport du Comité consultatif du travail de la main-d’œuvre, laisse perplexe. Car 17 heures de travail et 25 heures de cours (ce que font la plupart des élèves du secondaire) font 42. Ce qui revient à dire que la semaine des enfants sera plus longue que celle de leurs parents, la CNESST estimant que la semaine normale de travail est de 40 heures. Faut-il en conclure qu’une heure de mathématiques ou de français exige moins d’efforts qu’une heure chez Tim Hortons ?

Le projet de loi ne mentionne pas, non plus, le Code civil. Depuis les années 1990, ce dernier transforme les enfants de 14 ans en adultes dès qu’il est question de travail. Comme un mineur est « réputé majeur » pour tout ce qui touche l’emploi, une adolescente de 14 ans n’a donc pas besoin du consentement de ses parents.

Dans bien des écoles, elle doit obtenir la permission de ses parents pour participer à une sortie scolaire. On ne sait jamais ce qui peut lui arriver au musée... Mais elle n’a pas besoin de leur demander leur avis pour plonger des frites dans de l’huile à 180 degrés dans une cuisine de restaurant.

Cela n’a jamais ému personne. Et le projet de loi n’y changera pas grand-chose.

Certains restaurateurs estiment que le gouvernement n’a pas à fixer un âge minimum, qui était de 16 ans jusque dans les années 1980. La pénurie de main-d’œuvre les contraindrait à recruter des travailleurs de plus en plus jeunes, font-ils valoir. Ils omettent de dire que ces petits travailleurs leur coûtent moins cher que les grands. Les ados sont certes payés autant que leurs collègues adultes, mais les cotisations sont moins élevées (puisque les employeurs sont tenus de faire des versements au Régime de rentes du Québec à partir de 18 ans seulement).

Pour justifier son intervention, le gouvernement invoque, d’une part, les risques accrus de décrochage scolaire et, d’autre part, la santé et de la sécurité des enfants. De 2017 à 2021, 447 travailleurs de 16 ans et moins ont été victimes d’accidents ou de maladies professionnelles reconnus par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), un chiffre qui sous-estime forcément l’ampleur du problème.

À cet égard, les risques de harcèlement et d’agressions sexuelles ne sont jamais évoqués. Pourtant, un enfant de 14 ans arrive sur le marché du travail deux ans avant d’atteindre l’âge lui permettant de donner son consentement à une relation sexuelle avec une personne adulte. Les relations avec un employeur sont déjà sanctionnées, bien sûr, mais les très jeunes travailleurs sont entourés de collègues de tout âge. Vous avez dit dick pic non sollicitée ? Il y a pire.

La CNESST a ouvert 173 dossiers pour harcèlement sexuel de 2018 à 2021. Pendant cette période, elle a reconnu 118 cas de stress aigu provoqué par une agression sexuelle chez des personnes de tout âge. Bien que les statistiques disponibles ne soient pas ventilées par tranche d’âge, une demande d’accès à l’information me permet d’affirmer qu’au moins une personne de moins de 16 ans a fait une réclamation à la CNESST pour harcèlement ou agression sexuelle depuis 2013.

Tous ces sujets auraient pu donner lieu à un débat. Les pragmatistes auraient soutenu que les enfants doivent très tôt apprendre la valeur du travail ; les défenseurs des droits de la personne auraient rappelé que le travail des enfants met à mal leurs droits à l’éducation et à la santé, les accidents professionnels – inévitables – les empêchant d’aller à l’école. Tant qu’à y être, ils auraient pu s’écharper sur la finalité du travail des enfants : dans les milieux défavorisés, combien d’ados aident leurs parents financièrement ? La réponse n’est peut-être pas celle que l’on espère. Cela aurait été l’occasion de parler de classes sociales et d’intérêt général. Mais le débat n’aura pas lieu. Au Québec, on n’aime pas la chicane.

1. Consultez le site (en anglais) du département du Travail de l’État de New York Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion