Qu’attend le gouvernement pour donner aux conjoints de fait les mêmes droits qu’un couple marié ?

Voilà plus d’une décennie que la Cour suprême a rendu sa décision dans le cas Éric c. Lola. Une décennie pendant laquelle le gouvernement du Québec ne se rend pas à l’évidence : les conjoints de fait méritent d’être reconnus par le droit civil québécois.

Des milliers de femmes (car ce sont le plus souvent des femmes) et d’enfants québécois vivent des situations alarmantes à cause de cette inertie. Si le gouvernement de François Legault croit réellement en la laïcité et en l’égalité des sexes, qu’il le prouve en modifiant enfin le Code civil pour accorder aux couples en union libre les mêmes droits qu’aux couples mariés.

Le Québec est fier, à juste titre, de ses services de garde abordables et de son congé parental partageable. Mais ces succès ne doivent pas occulter les statistiques qui nous rappellent que les femmes sont plus nombreuses à occuper un emploi à temps partiel que les hommes, qu’elles gagnent moins qu’eux et qu’elles passent plus de temps à faire des tâches ménagères.

Je vois souvent des couples du même âge, exerçant la même profession, se retrouver après 20 ou 30 ans de vie commune avec de grands écarts de richesse et de statut, quasiment toujours en faveur de l’homme.

Aujourd’hui encore, de nombreuses femmes mettent leur carrière en suspens pour s’occuper de leur famille.

Lors d’une séparation, l’avenir de ces femmes dépend, au Québec, d’une seule question : sont-elles mariées ? Si la réponse est oui, la loi les protégera en offrant l’accès à une pension alimentaire, au patrimoine familial et à la société d’acquêts. Si la réponse est non, elles n’auront aucun droit à tout cela, avec des conséquences parfois dramatiques pour l’avenir de leurs enfants.

C’est pour cette raison que j’ai accompagné « Lola » jusqu’à la Cour d’appel du Québec et que je me bats toujours pour mettre fin à cette inégalité devant la loi, qui n’existe dans aucune autre province.

La loi n’est pas immuable : elle doit évoluer avec la société.

La Cour suprême a décidé que le régime québécois, qui ignore les conjoints de fait, était inconstitutionnel. Mais la juge en chef a tranché qu’il était de la responsabilité de l’Assemblée nationale de rectifier la situation, ce que le gouvernement de l’époque s’est engagé à faire. Sa promesse est restée lettre morte.

Le dernier signe d’une tentative de réforme remonte aux travaux du comité consultatif sur le droit de la famille, dont le rapport de 2015 a révélé une vision incomplète des enjeux. Ses propositions, inutilement compliquées, ont été heureusement mises de côté. Peut-être est-il temps de s’appuyer sur l’expertise d’avocats qui assistent tous les jours à de véritables drames familiaux en temps réel pour s’attaquer au problème ?

Mais c’est peut-être montrer trop d’optimisme.

Car à bien écouter les discussions politiques ayant trait aux conjoints de fait depuis des décennies, on s’aperçoit que le Québec reproduit toujours le même comportement : il repousse sans cesse le moment d’agir.

Le gouvernement caquiste devrait s’attaquer à un Code civil dépassé, qui place encore le mariage au-dessus de l’union libre, ce qui reflète les mœurs catholiques. Rappelons qu’au Québec, le mariage a été une institution purement religieuse beaucoup plus longtemps qu’ailleurs au Canada. En éliminant ce déséquilibre, le gouvernement reconnaîtrait la sécularisation de la société québécoise et s’engagerait véritablement pour la laïcité.

Il œuvrerait aussi pour le bien-être des enfants nés hors mariage (une majorité au Québec !). Le barème de pensions alimentaires pour enfants au Québec est toujours le moins généreux au pays, ce qui rend difficile le maintien de leur qualité de vie après une séparation, quel que soit le statut des parents.

Quand ces derniers sont conjoints de fait, les conséquences sont ressenties encore plus durement, notamment en raison de l’absence de pension entre époux. Jamais un enfant ne devrait avoir à abandonner une école ou une activité car ses parents se séparent. Et pourtant, regardons la réalité en face : s’il n’y a pas assez d’argent pour le logement et la nourriture, il n’y aura pas d’argent pour les « extras ».

Dans mon rôle d’avocate, j’ai appris une chose qui va au-delà du droit : le chagrin de la séparation est universel, gai ou hétérosexuel, marié ou en union de fait.

Nous sommes tous égaux dans la peine. Cette vérité a permis de faire avancer la loi pour les couples de même sexe. Elle doit être entendue aussi pour les conjoints de fait.

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