Dans le cadre du mois et de la journée du 20 mars qui soulignaient la francophonie mondiale dans une certaine indifférence, quelques évènements étaient prévus à l’horaire des Rendez-vous de la Francophonie canadienne.

L’une des thématiques choisies pour lancer les festivités se résume au slogan : Minoritairement majeur. En effet, l’un des porte-paroles de l’évènement, l’humoriste et acteur franco-québécois d’origine congolaise Eddy King, conviait les jeunes du secondaire à prendre leur place. On ne peut s’empêcher de faire le lien avec les défis vécus par l’animateur lui-même et les membres des minorités culturelles.

Alors qu’il est louable d’inspirer la jeunesse francophone à aspirer à mieux, encore faut-il que les leviers nécessaires à son épanouissement soient à sa disposition. Dernièrement, plusieurs évènements peu médiatisés et survenus aux seins des minorités francophones canadiennes nous invitent à réfléchir sur le traitement inégal de ces communautés hors Québec.

On peut penser à la crise au sujet du projet d’abolition de l’immersion française dans les écoles du Nouveau-Brunswick, décriée autant par la SANB (Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick) que des associations de parents anglophones1 ou les difficultés pour le réseau de la santé francophone de la province (Réseau de santé Vitalité) à maintenir des services essentiels. Il y a eu aussi tous les obstacles entourant la mise sur pied de la première université uniquement francophone en Ontario (Université de l’Ontario Français) qui a failli ne jamais ouvrir ses portes. Et que dire des récriminations de la FFCB (Fédération des francophones de la Colombie-Britannique) sur leur droit d’accès à l’emploi en français.2

Quand on visionne le court métrage Assez French réalisé par l’autre porte-parole des Rendez-vous de la Francophonie, l’auteure-compositrice-interprète fransaskoise Alexis Normand, on réalise toutes les contraintes vécues par la communauté francophone de la Saskatchewan, la crise d’identité entre deux réalités linguistiques et le spectre de l’assimilation3.

Alors que des débats enflammés et même fratricides sur la réforme de la loi sur les langues officielles font rage à Ottawa, il est pertinent de se questionner sur les racines du fait français au Canada et au Québec.

Historiquement, les Canadiens français du Bas-Canada ont longtemps été défavorisés par rapport à l’accès à l’éducation ainsi qu’aux postes de pouvoir politique et économique comparativement à la minorité d’ascendance britannique. Bref, ils faisaient face à de la discrimination systémique.

On en parle peu, mais il existe plusieurs exemples antérieurs ou contemporains de minorités dominant l’élite du pouvoir dans une région donnée. Parmi ceux-ci figurent évidemment les conséquences de la colonisation européenne, mais aussi les luttes et rapports de force dans des endroits comme le Royaume-Uni (par exemple, l’Irlande du Nord), le Moyen-Orient (les Sunnites en Irak avant la guerre) ou l’Asie-Pacifique (le Japon puis la Chine). Et pour qu’une minorité puisse influencer toute une société, il est généralement utile d’avoir l’appui d’un grand frère ou d’une puissance extérieure, comme on peut le constater dans le conflit russo-ukrainien.

Revenons aux francophones du Québec qui se retrouvent dans un contexte singulier où ils représentent une majorité au sein de leur province, mais une minorité au sein des Amériques. On pourrait dire qu’ils ont été et sont toujours majoritairement minoritaires, en plus d’avoir été isolés en l’absence de toute aide extérieure. À la grande surprise, c’est dans ce contexte que s’est déclenchée au fil des siècles une multitude d’actions qui a permis d’arracher des gains et d’assurer la survie de tout un peuple.

Des rébellions à la Révolution tranquille, il fut même constitué une organisation secrète dans les années 1920 appelée l’Ordre de Jacques Cartier ou « la Patente » pour faire contrepoids aux Orangistes, aux frères Maçons et même au Ku Klux Klan qui prônaient la supériorité anglo-saxonne. Lancée en Ontario et au Québec, et composée de personnalités publiques connues comme Jean Drapeau et Bernard Landry, cette société secrète a eu des ramifications jusque dans les minorités francophones du Canada, comme au Nouveau-Brunswick où on croit fortement que cela a mené à l’émergence d’une série de mesures d’émancipation socio-économique dans le cadre de la politique de « Chances égales pour tous » portée par le premier Acadien élu premier ministre de la province, Louis J. Robichaud. Le tout est relaté par le cinéaste Phil Comeau dans un documentaire éclairant4 5.

Il est important de se rappeler les avancées historiques et l’audace de plusieurs individus dans leurs luttes pour leurs droits pour réellement prendre leur place. De nos jours, la Francophonie regorge d’une grande diversité culturelle et il est important de faire vivre cette autre langue internationale qu’est le français et qui est partagée par plus de 300 millions de locuteurs dans le monde.

Comme a dit Eddy King dans l’une de ses entrevues, communiquons d’abord l’amour de la langue française. C’est un fait que les minorités culturelles et les communautés autochtones font toujours face à de grands défis, mais qui de mieux qu’un peuple majoritairement minoritaire qui a vécu la discrimination systémique pour transcender les frontières de l’intolérance et continuer à bâtir une société originale et unique en Amérique ?

1. Lisez le texte de Joël-Denis Bellavance « La déportation tranquille des Acadiens » 2. Lisez le texte d’ICI Colombie-Britannique « Services à l’emploi : la Cour suprême n’entendra pas les francophones de la C.-B. » 3. Visionnez le documentaire Assez French 4. Visionnez la bande-annonce du documentaire L’ordre secret 5. Lisez le texte d’ICI Nouveau-Brunswick « La Patente sort de l’ombre » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion