Nous apprenions récemment que Google effectue un test chez une minorité de ses utilisateurs. Google a temporairement enlevé tous les contenus médiatiques de ses résultats de recherches1.

Ce test est une réponse au projet de loi C-18, la loi sur les nouvelles en ligne. Il va de soi que couper l’accès aux contenus médiatiques n’est jamais une bonne idée. On ne peut que déplorer cette décision de Google. Toutefois, avant de blâmer le géant technologique, il faut se demander comment nous en sommes arrivés là.

Les annonceurs ont fait migrer leur budget vers les géants du web, qui offrent des solutions publicitaires mieux adaptées à leurs besoins. En réponse, les médias traditionnels, notamment par l’entremise du regroupement Média d’Info Canada, ont fait pression pour que le gouvernement intervienne.

L’argument des médias est le suivant : les géants du web utilisent nos contenus (et en génèrent des bénéfices). Nous devrions donc être dédommagés pour cette utilisation. Ainsi, la loi force les géants du web à négocier des ententes de rémunération avec les médias.

Le premier problème avec ce projet de loi, c’est que les géants du web n’utilisent pas vraiment les contenus des médias. Nous ne pouvons lire le contenu d’un article sur Google. Google ne fait qu’afficher un lien qui mène vers l’article.

D’ailleurs, si les médias ne veulent pas que leurs articles se retrouvent dans les résultats de Google, ils peuvent le faire facilement en modifiant une ligne de code sur leur site web.

Si les géants du web utilisaient vraiment le contenu des médias, ceux-ci pourraient utiliser les lois sur le droit d’auteur pour demander une compensation financière. Cependant, comme le mentionne Michael Geist⁠2, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de l’internet et du commerce électronique, tant le droit international que canadien sont clairs sur cette question. Un lien vers un article de presse correspond à une utilisation équitable et ne requiert ni permission ni compensation financière.

Plutôt que de parler d’utilisation, le projet de loi C-18 utilise le terme « rendre disponible ». Le projet de loi mentionne même qu’il suspend la portée de la Loi sur le droit d’auteur en ce qui a trait aux négociations entre les plateformes et les médias.

Ainsi, un simple lien vers un article de presse est couvert par cette loi. C’est ce qu’on appelle une taxe pour les liens et c’est une très mauvaise idée⁠3.

Premièrement, en basant la contribution financière sur les liens (et, par extension, les clics), nous n’encourageons pas le journalisme de qualité, mais les pièges à clics (click-bait). Ensuite, si l’entente négociée entre les plateformes et les médias trouve sa justification sur les liens, les plateformes n’ont aucun intérêt à donner de la visibilité aux médias. On se retrouve donc d’un côté avec des médias qui ont un intérêt financier à générer du mauvais contenu et, de l’autre, des plateformes qui ont intérêt à limiter le partage de contenus médiatiques4.

Deuxièmement, si l’on considère que les liens ont une valeur, pourquoi alors ne pas compenser tout l’internet ? Si Google et Facebook retirent un bénéfice des liens vers du contenu médiatique, ils doivent aussi en générer avec le contenu qui n’est pas couvert par C-18 ?

Finalement, une entente directe entre les plateformes et les médias déresponsabilise les médias. C-18 prévoit une entente directe négociée (ou forcée par un arbitre) entre les médias et les plateformes numériques. D’autres acteurs proposent d’autres types de financement. Par exemple, certains proposent de taxer directement les géants du web et de redistribuer l’argent ensuite en subventions aux médias. Google lui-même propose de contribuer à un fonds public qui serait destiné aux médias.

Les médias, encore par l’entremise de Média d’Info Canada, rejettent ce type de financement. Selon eux, si l’argent passe par le gouvernement, cela compromettrait leur indépendance. L’argument ne fait pas de sens sachant que les médias jouissent déjà de financement public. Et si un financement public compromet leur indépendance, pourquoi le financement privé ne le fait-il pas ?

Au contraire, si l’argent passe par le gouvernement, le financement sera transparent. Nous pouvons ainsi, collectivement, avoir une discussion sur le montant que la société devrait allouer à l’information journalistique.

Peu de gens s’opposent à ce que les géants du web financent les médias. Après tout, ils sont responsables de la diffusion de désinformations. Comme les entreprises de tabac sont taxées pour financer la santé, Google, Facebook et les autres géants du web devraient contribuer à l’information journalistique. En revanche, C-18 semble causer plus de problèmes qu’il n’en règle.

Pour le meilleur et pour le pire, l’internet a démocratisé l’information. Les médias n’ont plus le monopole. Toute information n’étant pas égale, en tant que société, nous devons encourager l’information de qualité. Mais tout est dans la manière.

(1) Lisez le texte « Google teste le blocage des nouvelles au Canada » (2) Lisez le texte de Michel Geist (en anglais) (3) Consultez le site d’OpenMedia (en anglais) (4) Lisez le texte « Meta bloquerait le partage d’actualités canadiennes sur Facebook et Instagram » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion