« Pas reposant, mais ça nous garde en vie. »

Cette réponse ne vient pas de grands-parents à bout de souffle après avoir gardé leurs petits-enfants. Elle a fusé des lèvres d’un collègue à qui je demandais de résumer les 10 ans du pontificat de François, que nous soulignons en ce 13 mars.

De fait, l’un des traits caractéristiques du pape actuel est de créer du remous. Il aime lancer des pavés dans la mare, voire y sauter lui-même à pieds joints. On pense spontanément à ses nombreuses tirades qui décoiffent, mais il y a bien plus encore : ses nominations étonnantes à des postes clés, ses efforts de réforme de la curie, son style de vie, etc.

Tout indique que ses actions déconcertantes ne tiennent pas seulement à sa spontanéité. Elles découlent d’une intention : brasser la cage, expulser l’Église de cette zone de confort où elle peut se fier aveuglément aux réflexes développés au cours de siècles de combats et d’influence en Occident. François croit manifestement en la théorie du chaos créatif.

Car un certain désordre favorise l’expression de la vie. L’Église ressemble trop souvent à ces pièces au mobilier immuable, de style Empire (romain), couvert de toiles d’araignées.

François conçoit vraisemblablement l’Esprit saint comme un enfant joyeux, avide de tournoyer, de toucher à tout, au risque de casser un vase précieux ou deux.

Après son passage, il faut ranger, et c’est alors l’occasion non seulement de faire du ménage, mais aussi de penser à nouveaux frais l’ordre qui convient.

Si l’objectif du concile Vatican II, de 1962 à 1965, était d’« ouvrir les fenêtres de l’Église », selon l’expression du pape Jean XXIII, le présent synode, qui a débuté il y a deux ans et qui devrait culminer en 2024, cherche carrément à défoncer des murs pour construire de nouvelles portes.

Consulter les croyants

Car François a bien insisté pour que l’on débute par un long temps de discussion au niveau local, partout dans le monde, afin que tous puissent s’exprimer. Autrement dit, les évêques auront le mandat, avant toute délibération, de prendre acte des intuitions, des rêves et des inquiétudes des croyants de leur pays.

C’est sans doute en faisant ainsi que l’Église catholique peut se permettre, tout en restant elle-même, de s’approcher au plus près d’un processus démocratique. Or l’initiative de François dérange, dévoile d’intenses résistances à tout changement, perçu chaque fois comme une infidélité, une compromission avec les modes suspectes agitant le monde moderne.

Et c’est l’un des risques de l’approche provocatrice du pape. À force de créer du chaos, ce dernier pourrait s’installer en permanence.

Vatican II a certes polarisé, mais l’Église est sortie du concile relativement unifiée. Du moins autant que peut l’être une institution réunissant en un seul corps des cultures et des sensibilités spirituelles irréductibles.

À ce jour, il est loin d’être évident que le présent synode s’achèvera sur une note aussi positive. Le cardinal Pell a qualifié la démarche de « cauchemar toxique » quelque temps avant sa mort, et plusieurs conservateurs, notamment aux États-Unis, partagent son dégoût pour ce qu’ils perçoivent comme un bavardage insensé et dangereux. Bref, le risque de fiasco, du moins du point de vue de la cohésion de l’Église, existe bel et bien.

PHOTO FILIPPO MONTEFORTE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

« L’initiative de François dérange, dévoile d’intenses résistances à tout changement », écrit l’auteur.

Même du côté des progressistes, après avoir applaudi à pleines mains les premières « frasques » de François, certains ont déchanté, prenant conscience que le style franc-tireur, voire inconstant, du pape se prêtait mal aux réformes en profondeur, qui exigent des efforts plus systématiques.

En effet, les mutations engendrées par François restent fragiles, même si ses attaques contre la culture de l’entre-soi, tristement renforcées par les nombreux scandales d’abus, ont porté un coup que l’on peut espérer décisif à la prétention de l’Église à juger de haut, et seule, des affaires humaines.

Alors, une bénédiction, ce « pape des surprises », ce pontife du « joyeux bordel », cet empêcheur de tourner en rond ?

Il faudra résister à la tentation d’en juger au regard des seules retombées à court terme du présent synode. Contrairement au contexte de bouillonnement culturel et théologique dans lequel s’est ouvert Vatican II, le sol est aujourd’hui peu propice à de grandes récoltes. Le seul fruit attendu est de réussir à mobiliser l’Église, toute l’Église, dans les labours les plus urgents et nécessaires. Et cela malgré la force d’inertie provenant d’une polarisation féroce.

Bref, l’éclat du bilan que l’on dressera un jour de l’approche de François dépendra largement de son aptitude à manœuvrer dans la tempête qui couvait déjà avant lui, mais qu’il a fait éclater de son plein gré. À cet effet, le synode en cours agira comme baromètre : si une nouvelle mobilisation en émerge, on se souviendra alors peut-être du pape actuel comme d’un capitaine de génie, capable de tirer parti des vents contraires.

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