L’auteur s’adresse au ministre de l’Éducation, Bernard Drainville

Monsieur le Ministre, l’initiative de vous écrire et, du même souffle, de vous tendre la main, fait suite à votre déclaration du 16 janvier dernier que « les bulletins chiffrés étaient là pour rester », en justifiant leur maintien par l’argument suivant : « Les parents en ont besoin pour situer leur enfant dans le groupe. » C’est tout ?

J’ignorais que les besoins des parents avaient préséance sur ceux des élèves et du personnel qui passent respectivement 180 et 200 jours par année dans une école. D’ailleurs, vous n’êtes pas sans savoir que votre position entre en collision avec un rapport sur l’état et les besoins de l’éducation rédigé par le Conseil supérieur de l’éducation intitulé « Évaluer pour que ça compte vraiment » (2019).

En effet, dans ce rapport conçu par des experts issus du milieu scolaire, l’objectif visé consiste précisément à éliminer ce bulletin chiffré sans moyenne de groupe, au primaire et possiblement jusqu’au premier cycle du secondaire, au profit d’une évaluation avec critères qui témoigne des acquis « tirant tous les élèves vers le haut ».

Vous comprendrez donc mieux ma prémisse : de par ses pratiques archaïques en évaluation, remontant au XVIe siècle chez les Jésuites, notre système scolaire est l’un des principaux responsables du nombre élevé d’enfants en difficulté, d’élèves qui « décrochent » et d’enseignants qui abandonnent l’une des plus nobles des professions. Vous êtes sceptique ?

Alors, comment expliquer qu’on puisse attribuer une note de 45 % en lecture à un élève de première année dès son premier bulletin de novembre parce que sa fluidité est chancelante ? Comment peut-on ensuite indiquer aux parents de cet élève qu’il est en difficulté alors que nous savons qu’il pourrait atteindre le niveau attendu si nous avions la sensibilité de respecter son rythme ? Le bulletin chiffré à date fixe fait obstacle à cette opportunité.

C’est donc dès le début du primaire qu’une culture de compétition s’installe et contribue à l’anxiété de performance et au mal-être d’un grand nombre d’enfants et d’enseignants.

D’ailleurs, combien parmi nous continueraient à pratiquer un sport ou un instrument de musique si, dès l’âge de 6 ans, on nous accordait un 45 % après seulement quelques mois d’initiation ?

Dans le même esprit, si un élève obtient une note de 80 % en lecture alors que la moyenne de groupe est à 85 %, un parent devrait donc être moins satisfait que s’il avait obtenu ce même 80 % dans un groupe où la moyenne est à 70 %. C’est pourtant le même résultat. Est-ce que cette note renseigne le parent sur les acquis de son enfant et surtout sur le 20 % manquant ? En quoi la moyenne de groupe est utile dans le cheminement scolaire d’un élève ?

Force est d’admettre, malgré cet exemple, que si ce mythe ancré dans l’esprit populaire voulant que les parents se satisfont des notes en pourcentages est partiellement vrai, c’est qu’à l’heure actuelle, la société n’imagine pas l’évaluation en dehors de ce système de notation. C’est un code qu’elle comprend, tel un mal nécessaire, mais qui est pourtant dévastateur pour notre jeunesse.

Un climat propice à l’apprentissage

Lors des consultations sur la réussite éducative menées par le ministère de l’Éducation en 2016, la fédération des comités de parents a manifesté le désir d’une communication qui se veut constante, compréhensible et utile. J’insiste sur ces deux derniers qualificatifs parce qu’une question se pose dès lors, Monsieur le Ministre. Croyez-vous sincèrement qu’une note livrée en pourcentage est compréhensible et utile ?

Ne croyez-vous pas qu’il serait plus bénéfique d’utiliser les évaluations dans le but d’offrir un soutien à l’apprentissage qui témoigne des acquis des élèves, plutôt qu’en vue d’une sélection ou d’un classement pour un programme ou une école ?

Tant et aussi longtemps que l’action d’évaluer consistera à situer la note par rapport à une moyenne, l’évaluation des apprentissages sera synonyme de classement et impliquera des perdants, comme nous prévient le Conseil supérieur de l’éducation. Pire encore, elle contribuera, selon de nombreux travaux, à des effets contre-productifs sur la motivation, l’estime de soi, la persévérance scolaire et à « un bourrage de crâne qui incite au bachotage », donc à des apprentissages de surface qui ne perdurent pas dans le temps.

Conséquemment, voulons-nous encore d’un modèle qui sanctionne l’enfant par tant d’évaluations et qui pénalise l’erreur, ou choisirons-nous un modèle offrant des pratiques d’évaluation qui riment avec rétroaction, contribuant à des apprentissages structurants et durables ?

Voulons-nous encore d’un modèle qui génère une pression indue sur notre jeunesse, ou d’un modèle qui favorise un climat propice à l’apprentissage et qui valorise les compétences utiles face aux enjeux du XXIe siècle ?

Aujourd’hui, nous sommes à une période charnière qui nous offre deux directions en matière de valeurs sociétales. Le modèle américain, qui repose sur une culture de compétition et qui réfère à des gagnants et à d’inévitables laissés-pour-compte, ou bien le modèle scandinave, qui offre des mesures favorisant l’égalité des chances et l’inclusion. Stigmatiser l’élève ou l’élever dans le sens noble du terme. Que devrions-nous choisir, Monsieur le Ministre ?

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