En réponse à la lettre ouverte de Georgia Vrakas, « Je voulais sortir de mon corps⁠1 », publiée le 7 février

Dans sa lettre du 7 février, Mme Vrakas livre un témoignage très touchant sur sa très grande souffrance d’idées suicidaires. En ces douleurs, plusieurs se reconnaîtront très certainement. Devant ces épisodes longtemps mal diagnostiqués de dépressions majeures, elle se réjouit du report de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir pour les personnes souffrant de maladies mentales, qui n’y seraient pas autrement admissibles (par exemple, par une condition physique coexistante).

Elle se réjouit de ce report parce qu’elle considère qu’elle y aurait eu recours et surtout qu’elle y aurait été admissible dans les moments de grandes souffrances qu’elle décrit.

Ce n’est pas la première fois que Mme Vrakas raconte son histoire et émet cette conclusion pour militer contre l’élargissement de l’aide médicale à mourir. Le problème est qu’à chaque fois, elle se contente d’insister sur ses souffrances, intenables, mais ne mentionne pas comment elle aurait pu se qualifier à l’aide médicale à mourir. Chaque fois, elle fait fi des critères applicables.

Comment peut-elle affirmer aussi catégoriquement qu’elle aurait été admissible à l’aide médicale à mourir dans son état de détresse aiguë ?

Les balises d’interprétation des critères d’admissibilité à l’aide médicale à mourir en cas de maladie mentale comme seul motif de demande sont justement ce qui retarde son élargissement. On veut s’assurer que les critères d’admissibilité seront bien respectés, compte tenu du caractère irrémédiable de l’aide médicale à mourir.

Rappelons que pour être admissible à l’aide médicale à mourir, il faut qu’une évaluation, faite par deux ou même trois médecins (ici, le troisième médecin serait vraisemblablement un psychiatre), permette de conclure que la personne est apte à prendre cette décision, qu’elle est atteinte d’une maladie « incurable » qui entraîne le déclin « irréversible » de ses capacités et qu’elle souffre d’une manière « constante » et « intolérable ».

Rappelons aussi que les critères d’aptitude à consentir prévoient qu’une personne peut être jugée inapte si sa capacité ou son jugement sont altérés par la maladie.

Rappelons qu’un délai de 90 jours est obligatoire entre la demande et l’aide médicale à mourir lorsque la mort de la personne n’est pas raisonnablement prévisible et que cette personne doit avoir envisagé d’autres alternatives de soins.

Rappelons finalement que l’arrêt Carter de la Cour suprême du Canada, qui a déclaré inconstitutionnels les articles du Code criminel, a reconnu que l’objectif du Code criminel visant à empêcher que « les personnes vulnérables soient incitées à se suicider dans un moment de faiblesse » était réel et urgent, mais qu’il fallait s’assurer que les personnes qui n’appartenaient pas à cette catégorie puissent dignement mettre fin à leur souffrance.

En fonction des critères de la loi et compte tenu de ses objectifs et de la grande rigueur des évaluations médicales d’admissibilité à l’aide médicale à mourir, comment peut-on radicalement prétendre qu’on y serait admissible en moment de grande détresse ? J’affirme respectueusement qu’à mon avis, la réponse serait exactement le contraire.

* Mme Grégoire enseigne et a publié plusieurs textes sur le droit des personnes physiques, y compris les critères d’accès à l’aide médicale à mourir.

1. Lisez la lettre « Je voulais sortir de mon corps » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion