Samedi, Patrick Lagacé a présenté une belle histoire de fin de vie. Dimanche, une fin de vie moins belle. Aujourd’hui, entrevue avec la ministre Sonia Bélanger, responsable de la mise à jour de la Loi concernant les soins de fin de vie.

Néophyte en politique, Sonia Bélanger s’apprête à piloter un projet de loi en terrain miné : la réforme de la Loi sur les soins de fin de vie. En entrevue avec La Presse, la ministre déléguée à la Santé et aux Aînés constate qu’il faudra « élargir la notion de handicap » pour l’aide médicale à mourir (AMM).

D’entrée de jeu, Mme Bélanger – PDG du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal jusqu’à son recrutement comme candidate caquiste en 2022 – rappelle qu’elle ne peut pas entrer, par égard pour l’Assemblée nationale, dans le fin détail du projet de loi avant qu’il ne soit déposé.

Il le sera prochainement. Quand ? La ministre n’a pas voulu le dire.

Le titre du projet de loi référera aux soins de fin de vie. Mais la partie la plus costaude portera sur l’aide médicale à mourir (AMM), balisée dans la loi depuis 2015. Une réforme a échoué, au printemps dernier.

Quelle est la vision de l’AMM de Sonia Bélanger, comme citoyenne ?

Réponse : « Comme bien des gens, j’ai évolué, sur cette question, entre 2010 et 2022. En 2010, quand j’entendais “aide médicale à mourir”, j’avais mes valeurs, perceptions et craintes. Et j’ai évolué à travers ça. » Sonia Bélanger évoque sa mère, « âgée, mais qui est encore avec nous, je suis chanceuse ». Puis, elle évoque son père, décédé : « J’ai vu sa souffrance liée à une démence, je l’ai vu disparaître peu à peu, j’ai vu la souffrance dans son regard. Au Québec, on veut mourir dans la dignité, c’est clair. »

Difficile de ne pas voir dans les mots de Sonia Bélanger un écho à la question complexe de l’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes de démence, comme l’alzheimer : c’est beaucoup sur cet enjeu que les députés qui étudiaient le projet de loi 38, au printemps 2022, se sont cassé les dents.

Le consensus québécois pour étendre le droit à l’AMM pour les personnes souffrant de démence est clair, comme établi par la Commission spéciale sur les soins de fin de vie, présidée par la députée Nancy Guillemette1.

Mais le chemin pour créer un protocole permettant aux malades de demander l’aide médicale à mourir quand ils ne seront plus lucides, lui, est parsemé de mines éthiques, politiques, humaines et juridiques.

Le projet de loi 38 a échoué parce que les députés de la dernière législature ont manqué de temps, au printemps. Enjeux complexes et regards insistants de l’horloge dans un dossier traditionnellement transpartisan ont poussé le ministre Christian Dubé à retirer le projet de loi 38, dont l’étude avait été chaotique2.

C’est à Sonia Bélanger que le gouvernement a confié le mandat de reprendre le flambeau. « Il y a eu du travail extraordinaire dans l’étude du projet de loi 38, dit-elle. Je vais reprendre là où le projet de loi s’était arrêté au printemps. »

En entrevue, elle soulève la saga Truchon-Gladu, du nom de deux personnes handicapées qui ont gagné le droit à l’aide médicale à mourir au prix d’un long combat devant les tribunaux, en 2019 : « On a vu la souffrance de ces personnes. À partir de cet évènement, on ne peut pas fermer les yeux, il y a probablement d’autres personnes qui vivent la même chose. Il faut élargir la notion de handicap. »

Ce point en particulier est très délicat, la notion de « handicap » étant différente d’une personne à l’autre, d’une situation à l’autre. L’état de souffrance lié à un handicap est lui-même variable : c’est un aspect qui provoque beaucoup de débats, souvent émotifs.

La ministre Bélanger a spontanément abordé l’enjeu de l’aide médicale à mourir dans les maisons de soins palliatifs. Dans le projet de loi 38, on prévoyait forcer les maisons qui n’offrent pas ce soin à le faire. Je cite Mme Bélanger : « Les maisons de soins palliatifs font un travail extraordinaire. Maintenant, l’aide médicale à mourir, c’est aussi un soin, c’est un soin de fin de vie. J’ai des attentes particulières face aux maisons de soins palliatifs. »

Quand un patient en fin de vie demande l’aide médicale à mourir alors qu’il est dans une maison de soins palliatifs qui refuse de l’offrir, la procédure est la suivante : transférer la personne à l’hôpital, pour qu’elle y reçoive le soin. La ministre n’aime pas cette image : « Quand les gens sont en fin de vie, ils sont en souffrance. Un transport en ambulance vers l’hôpital me semble inconcevable. »

Autre aspect flou à clarifier : dans les maisons de soins palliatifs qui disent offrir l’aide médicale à mourir, combien l’offrent véritablement ? J’abordais cette pratique, dimanche, en chronique, sous l’angle de la Maison de soins palliatifs Rivière-du-Nord, à Saint-Jérôme, qui dit à la fois permettre l’AMM et… ne pas la permettre3.

J’ai abordé avec la ministre le cas de l’hôpital Marie-Clarac, à Montréal, un hôpital privé administré par des religieuses catholiques, qui refuse que l’aide médicale à mourir soit administrée en ses murs.

« Ça vous dérange ?

— C’est sûr que ça me dérange. On va poursuivre la discussion, et je pense qu’ils vont devoir l’offrir. »

Il y a quelques semaines, le Québec a été indigné par la fin de vie horrible d’Andrée Simard4, la veuve de l’ex-premier ministre Robert Bourassa, au Centre hospitalier de St. Mary.

Une enquête de Denis Lessard, de La Presse, avait révélé qu’on avait refusé d’administrer des doses de sédatifs adaptées, sous prétexte qu’elle n’était pas aux soins palliatifs. Mme Simard est morte dans d’atroces souffrances.

« Le cas de Mme Simard a-t-il influencé le projet de loi que vous allez déposer ?

— C’est venu renforcer ma conviction que tous les hôpitaux doivent avoir des soins palliatifs avec des équipes formées et compétentes, a répondu Sonia Bélanger. Je souligne qu’il y a une qualité de soins donnés à St. Mary’s, mais ça va être important de renforcer le rôle et la formation des professionnels. »

1 Lisez l’article « Rapport de la commission spéciale : feu vert à un accès élargi à l’aide médicale à mourir » 2 Lisez l’article « Aide médicale à mourir élargie : le projet de loi ne sera pas adopté cette session » 3 Lisez la chronique « Une mort imparfaite » 4 Lisez l’article « Mort d’Andrée Simard : dans la douleur et la détresse »