Samedi, Patrick Lagacé a présenté une belle histoire de fin de vie. Aujourd’hui, une fin de vie moins belle. Lundi, entrevue avec la ministre Sonia Bélanger, responsable de la mise à jour de la Loi sur l’aide médicale à mourir.

C’était un peu avant Noël. Monique, la veuve de Paul, parlait de la fin de vie de son mari. Elle s’est fâchée en disant ces mots : « La maison de soins palliatifs a brimé les droits de Paul de recevoir des soins exceptionnels de fin de vie. »

Jusque-là, Monique souriait en me racontant la vie de Paul*. Elle m’a parlé de lui tendrement, de leurs 45 années de mariage.

Du travail que Paul faisait avec rigueur, jusqu’à la fin – il a réglé ses derniers dossiers dans son lit l’hôpital. De son amour pour elle, pour leurs deux enfants et leurs trois petits-enfants.

Et du football, de la messe sacrée du dimanche : la religion de Paul était la NFL, se souvient Monique, avec un sourire.

Mais c’est en racontant les derniers jours de Paul que Monique se crispait en entrevue, qu’une rage sourde l’animait encore six mois après le décès.

C’est que Paul aurait voulu mourir à la Maison de soins palliatifs de la Rivière-du-Nord, à Saint-Jérôme.

Il voulait partir dans la sérénité de ce lieu que Monique et lui connaissaient : la sœur de Monique y a passé ses derniers moments en 2013.

Monique m’a vanté la Maison de soins palliatifs de la Rivière-du-Nord : des chambres vastes pour accueillir plusieurs personnes au chevet du malade, des lits adaptés, la possibilité pour le conjoint de dormir avec le patient, des repas sur demande, des soins d’hygiène, du personnel formé et des bénévoles extraordinaires…

« Et un jardin magnifique, le Jardin Régine, où on peut tirer le lit. »

Je savais tout cela : toutes les maisons de soins palliatifs au Québec sont extraordinaires par leur façon d’adoucir la fin, de lui donner un apaisant potentiel de beauté.

Mais au lieu de mourir à la Maison de la Rivière-du-Nord, Paul est mort à l’hôpital. Pas dans des circonstances épouvantables, mais vraiment pas dans des circonstances exceptionnelles.

La chambre de l’hôpital était petite. La famille était entassée. Il y avait des sièges sans dossier. Je n’ai pas pu être avec mon mari la dernière nuit : je peux vous dire que quand j’ai quitté l’hôpital, la dernière nuit, je filais cheap

Monique

Pourquoi Paul n’est-il pas mort à la Rivière-du-Nord ?

Parce que Paul avait préalablement demandé l’aide médicale à mourir (AMM).

Et son médecin, le DJulien Auger, a dit à Paul ce qui était bien connu dans le réseau, dans les Laurentides : la Rivière-du-Nord ne pratique pas l’aide médicale à mourir.

Monique : « C’est le DAuger qui a dit à Paul que la Maison de soins palliatifs de la Rivière-du-Nord refusait les malades qui ont déjà fait une demande d’aide médicale à mourir… »

J’ai vérifié auprès du DAuger : il a bel et bien dit à Paul au printemps 2022 que la Rivière-du-Nord ne l’accepterait pas, parce que sa demande d’aide médicale à mourir était déjà « dans le système ».

Le DAuger a prodigué l’AMM à Paul dans cette petite chambre d’un hôpital vétuste.

Appuyons sur « Pause », ici.

Les maisons de soins palliatifs ont gagné une exclusion quand le Québec s’est doté d’une loi sur l’aide médicale à mourir : celle de ne pas accepter de donner l’aide médicale à mourir entre leurs murs.

Celle de ne pas accepter de pratiquer l’aide médicale à mourir entre leurs murs.

Au terme de débats parfois émotifs, cela semblait, en 2014, un compromis acceptable. La communauté des soins palliatifs était particulièrement remontée contre l’aide médicale à mourir.

Le temps a fait son œuvre : une majorité (25 sur 37) l’offrent désormais. Certaines maisons trouvaient cruel ce qui se passait si un malade, entre ses murs, demandait l’aide médicale à mourir1 : on le mettait dans une ambulance pour qu’il reçoive le soin à l’hôpital…

Ce qui n’a rien de doux, de serein ou de beau, aux dernières heures de sa vie.

Quand le DJulien Auger a annoncé à Paul au printemps 2022 que la Maison de soins palliatifs de la Rivière-du-Nord refusait les patients qui avaient déjà fait une demande d’aide médicale à mourir, il avait tort…

Car à l’été 2021, près d’un an auparavant, la Maison de la Rivière-du-Nord avait changé ses règles, l’AMM y était désormais permise.

C’est le DCharles-Matthieu Grégoire, directeur médical de la Maison de la Rivière-du-Nord, qui m’a confirmé cela, en décembre dernier. Lui-même pratique l’AMM. Il m’a longuement parlé du changement de mentalité qui s’est opéré face à l’AMM, dans la communauté des soins palliatifs…

J’en ai déduit que le médecin de Paul – le DAuger – ignorait que la Rivière-du-Nord avait changé ses règles sur l’AMM, quand il a dit à Paul qu’il était inutile de faire une demande d’admission à la Rivière-du-Nord.

Monique m’avait même dit qu’après le « niet » du DAuger, une travailleuse sociale lui avait affirmé qu’en effet, c’est bien connu dans les Laurentides, la Maison de la Rivière-du-Nord refusait les patients qui souhaitent recevoir l’AMM…

Il y a quelques jours, j’ai rappelé les personnes interviewées en décembre – Monique, le DGrégoire, le DAuger – pour vérifier si les faits avaient changé.

J’ai dit au DAuger qu’il avait sans doute été victime d’une perception périmée, que la Rivière-du-Nord pratiquait bel et bien l’AMM au printemps 2022…

La DAuger m’a répondu qu’il en serait fort étonné. Qu’au printemps 2022, alors qu’il soignait Paul, le formulaire de la Maison de la Rivière-du-Nord comportait encore l’avertissement sur le fait que l’AMM n’y était pas pratiquée…

Et il m’a dit : « Je pense même que c’est encore sur leur site web. Attends… »

Deux minutes après, le DAuger m’a fait parvenir une capture d’écran du site web ACTUEL de la Maison de soins palliatifs de la Rivière-du-Nord2. Je cite : « Ne pourra être admis un patient qui a, avant son admission, une demande d’aide médicale à mourir toujours active ou en cours de processus. »

J’étais bleu.

J’ai rappelé le DCharles-Matthieu Grégoire, qui était dans ses petits souliers, qui m’a expliqué que oui, mais non, qu’il y a une interprétation qui prévaut, que, que, que…

J’ai arrêté de prendre des notes. Je peux juste vous dire ceci : la Maison de soins palliatifs de la Rivière-du-Nord, officiellement, donne l’aide médicale à mourir.

Dans les faits, c’est pas clair, peut-être que oui, mais peut-être que non…

Mais sur le site web, c’est archiclair : c’est non.

Je dirai seulement ceci : l’aide médicale à mourir est un soin et un droit pour tous les Québécois. Il est plus que temps que Québec force les maisons de soins palliatifs à respecter ce droit et à prodiguer ce soin qu’est l’AMM. Idem pour l’Hôpital Marie-Clarac, hôpital privé administré par des religieuses — mais financé par l’État — , qui refuse de prodiguer l’AMM en ses murs.

La ministre déléguée à la Santé et aux Aînés Sonia Bélanger déposera bientôt un projet de loi qui met à jour les balises de l’aide médicale à mourir au Québec3. J’espère qu’elle y verra, pour toutes les personnes qui, comme Paul, ont vu leur droit à ce soin piétiné.

L’exclusion consentie aux maisons de soins et aux unités de soins palliatifs est de plus en plus scandaleuse.

Je paraphrase Monique : ça prive des Québécois de soins de fin de vie exceptionnels.

J’ai rappelé Monique. Je lui ai dit que la chronique allait paraître ce dimanche.

« Dimanche ?

— Oui, dimanche.

— Vous savez c’est quel jour, dimanche ? »

J’ai balbutié, j’ai pensé : euh, le jour du Seigneur ?

« Euh, non, Monique… C’est quel jour ?

— C’est le Super Bowl, Paul adorait le football, comme je vous ai dit. »

C’est un signe, Monique.

1. Lisez la chronique « Petite révolution à la Maison Adhémar-Dion » 2. Consultez les conditions d’admission des patients à la Maison de soins palliatifs de la Rivière-du-Nord 3. Lisez l’article « La ministre Bélanger déposera une nouvelle mouture du projet de loi sur l’aide médicale à mourir » sur le site du Soleil

* Les prénoms du couple ont été changés à la demande de « Monique » pour des raisons de confidentialité.

Rectificatif :
La version originale de cette chronique affirmait que les unités de soins palliatifs en milieu hospitalier étaient dispensées de prodiguer l’aide médicale à mourir. Ces unités en soins hospitaliers sont tenues d’offrir en leurs murs l’AMM. Seul l’Hôpital privé Marie-Clarac, administré par des religieuses, refuse de prodiguer le soin qu’est l’aide médicale à mourir. Nos excuses.