Les démocraties sonnent l’alarme face à l’ascendance de la Chine et de la Russie. Pourtant, elles soutiennent parallèlement un nombre croissant de gouvernements autoritaires. Un nouvel ordre mondial autoritaire est en train de s’établir et les gouvernements démocratiques y contribuent. Pour enrayer la tendance, ou ne pas l’accélérer, les démocraties doivent repenser leurs relations avec leurs partenaires non démocratiques.

La Chine, la Russie, mais également de nombreux partenaires autocratiques ayant adopté des formes d’autoritarisme moins répressives que les dictatures, ou utilisant un vocabulaire aux relents démocratiques, font partie de ce nouvel ordre. Le défi mondial auquel les démocraties font face ne se limite pas aux géants autoritaires.

La leçon est toutefois loin d’être apprise. La majeure partie de l’aide octroyée par les bailleurs prodémocratie va aux États autoritaires. L’Occident fait également de certains gouvernements autoritaires des partenaires économiques et sécuritaires clés. La lutte contre le terrorisme (en Mauritanie) ou la quête de nouveaux partenaires économiques et commerciaux (l’Éthiopie jusqu’à tout récemment) en sont de bons exemples.

Il n’est d’ailleurs pas rare de voir des leaders démocratiques encenser certains dirigeants autocratiques lorsqu’on souhaite en faire des partenaires.

L’idylle entre l’Occident et le Rwanda ne s’estompe pas malgré la répression employée par le gouvernement rwandais sur son territoire et à l’étranger.

Étant donné le poids démographique et économique des États autoritaires dans le monde, maintenir des relations avec leurs gouvernements est indispensable. D’ailleurs, pour contrer la tendance au recul démocratique, le maintien de ces relations s’avère la meilleure stratégie.

Contribuer à l’enracinement

Néanmoins, les incohérences entre les programmes diplomatiques, commerciaux et de sécurité, et les valeurs démocratiques, peuvent contribuer à l’enracinement autoritaire. Par exemple, les programmes de formation des armées nationales développent également le bras répressif de l’État. Aider à renforcer les partis politiques dans un paysage dominé par un seul parti peut renforcer la prééminence de ce dernier.

Un autre problème majeur est la tendance à éviter de travailler sur les questions politiques de fond, pour ne pas être perçu comme associé aux acteurs autoritaires et à leurs pratiques. Les programmes et les initiatives sont alors orientés vers des secteurs et des réformes de nature technique. La réforme du secteur de la sécurité, par exemple, est centrée sur la formation professionnelle des forces armées, de la police et des acteurs du renseignement, tout en assurant un plus grand contrôle de ce secteur par les institutions civiles. Un autre exemple est la décentralisation, axée sur le renforcement des structures administratives locales, afin de favoriser des liens plus étroits entre les autorités et les électeurs locaux, ainsi qu’une meilleure prestation de services. Pourtant, les acquis techniques sont trop souvent transformés en outils de répression et de contrôle.

Les gouvernements autoritaires instrumentalisent ces incohérences et le refus de faire le travail politique de fond, ce qui leur permet de choisir les réformes et les changements qu’ils mettent en œuvre. Sans surprise, ils optent pour des initiatives qui ne menacent pas le régime.

La réticence des démocraties à penser et faire le travail politique de fond avec leurs partenaires autoritaires permet aux autocraties de détourner l’aide à d’autres fins, en la canalisant vers l’appareil de répression ou en transformant les institutions créées ou soutenues par les démocraties en outils de contrôle, qu’il s’agisse d’administrateurs locaux, de coopératives ou même de groupes de la société civile. Les démocraties doivent donc comprendre que la manière dont elles s’engagent envers leurs partenaires autoritaires peut favoriser l’enracinement autoritaire.

Un rapport que j’ai coécrit pour la Westminster Foundation for Democracy1 propose une série de recommandations permettant de repenser les relations avec des partenaires non démocratiques. Celles-ci incluent : 1) la nécessité de maintenir des relations plus cohérentes de manière à promouvoir systématiquement le changement démocratique, y compris dans le cadre de programmation portant sur les questions de sécurité et d’économie ; 2) privilégier, en plus du travail technique, les discussions politiques qui font défaut, tout en étant conscient des relations politiques dans lesquelles les projets et programmes s’inscrivent ; 3) essayer, par conséquent, de compenser les effets que l’engagement pourra avoir en termes d’enracinement autoritaire. Cela signifie que les gouvernements démocratiques doivent apprendre à mieux anticiper et déjouer les efforts éventuels de détournement de l’aide et les relations à des fins autoritaires.

Pour faire une différence et contrer la tendance actuelle, les démocraties doivent également réaffirmer leur foi dans les valeurs et les institutions démocratiques sur leur propre territoire. Elles sont confrontées à leur propre montée de forces non démocratiques. Pour promouvoir de manière crédible les avantages de la démocratie à l’étranger, les démocraties doivent démontrer leur volonté de s’attaquer à ces problématiques au sein de leurs institutions.

Sans ces changements, les démocraties continueront à sonner l’alarme quant à la vague autoritaire montante, tout en alimentant cette même vague.

1. How Not to Engage with Authoritarian States, Nic Cheeseman et Marie-Eve Desrosiers, Londres : Westminster Foundation for Democracy, février 2023

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