Si vous aimez la liberté, vous allez adorer le caucus libéral fédéral. C’est un endroit où vous pouvez être élu pour défendre un programme puis faire volte-face et le saboter sans subir de conséquence.

Une scène rarissime se déroule à Ottawa. Trois députés montréalais – Marc Garneau, Emmanuella Lambropoulos et Anthony Housefather – se battent contre la protection du français promise par leur gouvernement.

Que fait Justin Trudeau ? Voilà une excellente question. Parce qu’en ce moment, ce sont les conservateurs, bloquistes et néo-démocrates qui appuient son projet de loi C-13. Vous avez bien lu. Les députés de l’opposition empêchent des dissidents libéraux en comité parlementaire d’affaiblir la réforme de leur propre gouvernement.

Ces députés libéraux siégeaient à la Chambre des communes en 2020 quand Mélanie Joly avait présenté son projet de réforme de la Loi sur les langues officielles. Ils étaient aussi à Ottawa quand Mme Joly avait déposé en 2021 un projet de loi crédible, qui proposait entre autres d’exiger le bilinguisme pour les juges de la Cour suprême, de renforcer les pouvoirs du commissaire aux langues officielles, d’augmenter l’immigration francophone et d’assurer le droit d’être servi en français dans les entreprises de compétence fédérale.

En septembre 2021, M. Garneau, Mme Lambropoulos et M. Housefather ont choisi de se présenter à nouveau pour les libéraux. Leur programme affirmait ceci : « Il y a près de 8 millions de francophones au Canada dans un océan de plus de 360 millions d’habitants principalement anglophones. Le gouvernement a donc la responsabilité de protéger et de promouvoir le français non seulement à l’extérieur du Québec, mais également au Québec. »

Si cela les dérangeait tant, ils n’avaient qu’à laisser leur place. Et si leur aversion pour la protection du français s’est récemment développée, rien ne les empêche de démissionner.

Selon un cliché, il faudrait faire « de la politique autrement », par exemple, en donnant plus de liberté aux simples députés.

Cette liberté a toutefois des limites. L’écrasante majorité des députés sont surtout élus en raison de leur parti. M. Garneau, Mme Lambropoulos et M. Housefather n’échappent pas à cette tendance.

Ceux qui rêvent de la « politique autrement » souhaitent également que les partis organisent des investitures ouvertes au lieu de laisser le chef nommer les candidats. C’est ce qui est arrivé dans Saint-Laurent avec Mme Lambropoulos, une jeune inconnue qui a gagné entre autres grâce au vote de la communauté grecque, même si Justin Trudeau préférait son adversaire Yolande James.

Aujourd’hui, ces trois dissidents montréalais montrent les limites de la vision idéaliste de la politique.

Il est vrai qu’un député représente ses électeurs, et que plusieurs de leurs électeurs sont satisfaits de les voir partir en croisade contre la protection du français. Mais ils ne sont pas des indépendants non plus. Ce sont des libéraux, élus avec un programme qu’ils trahissent sans être dérangés. Ils restent bien en selle dans un château fort rouge. Et puisque M. Trudeau les laisse faire ce qu’ils veulent, ils sont gagnants à vie.

Le premier ministre doit se dire qu’une partie de son électorat québécois s’oppose à C-13. Peut-être qu’il espère courtiser à la fois ceux qui sont pour et ceux qui sont contre la protection accrue du français. Mais dans le caucus libéral, la liberté de parole est en train de virer à la cacophonie.

Les libéraux sont-ils pour ou contre leur projet de loi ? Pour l’instant, la réponse ressemble à un « noui ».

En comité parlementaire, les trois mutins libéraux déplorent entre autres que C-13 reconnaisse la loi 96 du gouvernement Legault, qui invoque la disposition de dérogation.

Ils se sont aussi opposés à ce que la Loi sur les langues officielles relève désormais du Conseil du Trésor, afin de lui donner des dents. Les oppositions ont malgré tout réussi à adopter cet amendement avec l’appui d’un seul libéral, l’Acadien Darrell Samson.

L’ambiance est rendue hallucinogène. M. Garneau reproche aux députés de l’opposition d’être d’accord avec son parti.

Mme Lambropoulos innove elle aussi. Elle fait circuler une étrange histoire selon laquelle une médecin aurait refusé de soigner une femme anglophone en lui parlant dans sa langue, par crainte d’être poursuivie. La loi 96 spécifie pourtant que la médecin pouvait la soigner dans sa langue.

Les conservateurs, bloquistes et néo-démocrates ont essayé sans succès de faire remplacer ces trois libéraux du comité.

C’est un aveu de faiblesse de la part de Justin Trudeau et de son whip Steven MacKinnon. Et un coup dur pour son lieutenant québécois, le vaillant Pablo Rodriguez.

Quand Amira Elghawaby a été nommée représentante spéciale à la lutte contre l’islamophobie, M. Rodriguez s’était dit « profondément blessé » à cause de ses propos sur les Québécois. M. Trudeau a ensuite indiqué que même s’il n’était pas d’accord avec certaines déclarations de sa nouvelle émissaire, il l’appuyait « à 100 % ».

Avec la réforme de la Loi sur les langues officielles, c’est encore moins clair. Le message des libéraux n’a jamais paru si difficile à comprendre.

Voyez le gazouillis de Marc Garneau