(Ottawa) Elle avait été forcée de démissionner du comité des langues officielles après avoir nié le déclin du français au Québec, mais l’élue libérale Emmanuella Lambropoulos y a tout de même refait une apparition, cette fois pour émettre des propos erronés sur la loi 96.

Après un bref préambule prononcé en français devant le comité qui étudie le projet de loi C-13 sur la réforme de la Loi sur les langues officielles, l’élue est passée à l’anglais afin de raconter l’histoire d’une citoyenne de sa circonscription de Saint-Laurent, à Montréal.

« Elle m’a contactée pour me dire qu’elle avait dû aller à un rendez-vous médical avec sa grand-mère, parce que la dernière fois qu’elle s’est rendue à la clinique, ils ont refusé de la servir en anglais », a-t-elle affirmé par visioconférence, vendredi dernier.

La médecin « parlait en anglais avant l’adoption de la loi 96, mais elle ne parle plus en anglais, parce qu’elle a peur de faire l’objet d’une plainte si elle parle une langue autre que le français à son lieu de travail », a-t-elle enchaîné.

Or, selon la loi 96, un professionnel de la santé « ne peut, dans l’exercice de ses activités professionnelles, refuser de fournir une prestation pour le seul motif qu’on lui demande d’utiliser la langue officielle dans l’exécution de cette prestation ».

L’intervention de la députée Lambropoulos a hérissé l’élu bloquiste Mario Beaulieu, qui siège au Comité permanent des langues officielles. « Il y a des limites à faire peur au monde », a-t-il laissé tomber en entrevue, dimanche.

Plus que l’anecdote – au demeurant « peu probable, parce que c’est déjà difficile de se faire servir en français à Montréal » –, c’est sa suggestion selon laquelle des centaines d’aînés unilingues anglophones pourraient être laissés en plan qui a choqué le député.

« C’est pire encore que de remettre en question le déclin du français », tranche-t-il.

Autre note discordante

Élue contre toute attente lors d’un scrutin partiel visant à remplacer le siège abandonné par Stéphane Dion en 2017, la députée Lambropoulos a fait dérailler l’ouverture libérale à la reconnaissance, inédite, du déclin du français, dans le discours du Trône.

Car deux mois après l’allocution, elle s’en moquait.

« Nous entendons – je ne veux pas qualifier cela de mythe, je vais laisser le bénéfice du doute – que la langue française est en déclin au Québec […]. J’ai besoin de le voir pour le croire », lâchait-elle, imitant avec ses doigts des guillemets en disant le mot « déclin ».

Le Parti conservateur et le Nouveau Parti démocratique avaient réclamé son éjection du comité.

Deux semaines plus tard, l’élue montréalaise, qui ne s’arrête pratiquement jamais pour répondre aux questions des journalistes à Ottawa, annonçait sa « volonté de quitter » le comité.

Celui-ci a été dissous en même temps que le Parlement, en raison des élections en 2021.

Depuis, l’Assemblée nationale a adopté la loi 96, au grand dam d’élus libéraux de l’île de Montréal comme Anthony Housefather, Marc Garneau et Patricia Lattanzio. Seule cette dernière fait partie de la nouvelle itération de ce comité, pour la 44législature.

Les deux premiers ont toutefois commencé à y faire des apparitions ces derniers temps.

Trudeau « perd le contrôle »

Ils tentent de modifier un projet de loi que leur collègue ministre des Langues officielles, Ginette Petitpas Taylor, souhaite « aligné avec la loi du Québec » afin que les régimes soient « très, très, très semblables », réaffirmait-elle encore plus tôt cette semaine.

Justin Trudeau, à mon avis, perd le contrôle. Il y a un manque de respect de la part du caucus, et surtout du cabinet, vis-à-vis le premier ministre. C’est carrément ça. Je prédis que les prochaines semaines seront très difficiles pour lui.

Geneviève Tellier, politologue

En témoignent l’empêtrement de C-13, l’imbroglio entourant le projet de loi C-21 sur les armes à feu, puis la dissension concernant la nomination d’Amira Elghawaby, énumère la professeure titulaire à la faculté des sciences sociales de l’Université d’Ottawa.

« J’ai été étonnée, je pensais que c’était un done deal, le projet de loi C-13, et là, ça recule avec les députés de l’ouest de Montréal, illustre-t-elle. On semble être devant un premier ministre déconnecté du terrain, qui ne semble pas savoir ce qui se passe dans son parti. »

Refonte législative ardue

Le gouvernement Trudeau peine à faire adopter la tant attendue refonte de la Loi sur les langues officielles. Le projet de loi C-32 – déposé quelques jours avant les vacances d’été et le déclenchement des élections d’octobre 2021 – est mort au feuilleton.

Les libéraux ont ensuite présenté sa nouvelle incarnation, C-13, actuellement à l’étude en comité. Et son cheminement est laborieux : vendredi passé, les libéraux qui voulaient l’amender ont été frustrés à répétition, selon La Presse Canadienne.

Forts de leur majorité, les députés de l’opposition les ont empêchés de faire retirer toute référence à la Charte de la langue française du projet de loi. A contrario, ils ont réussi à faire adopter trois amendements demandés par le gouvernement du Québec.