(Ottawa) Tempête dans le ciel libéral : un député franco-ontarien accuse ses collègues du « Montreal island » de faire un « show de boucane honteux » de l’étude du projet de loi sur la modernisation des langues officielles.

« Le show de boucane mené par certains de mes collègues est honteux. Le Montréal island n’a pas le monopole sur la politique linguistique du Canada. La désinformation n’a pas sa place dans ce débat », a écrit sur Twitter le député Francis Drouin.

Il représente la circonscription de Glengarry-Prescott-Russell, où les Franco-Ontariens sont nombreux.

Bien qu’il ne nomme personne, on imagine que Francis Drouin fait référence à Emmanuella Lambropoulos, Anthony Housefather et Marc Garneau, qui se battent contre le projet de loi de leur propre gouvernement sur la refonte de la Loi sur les langues officielles.

La première l’a fait en faisant des commentaires trompeurs sur les dispositions de la loi 96 au Québec.

Les deux autres tentent de faire retirer toute référence à la Charte de la langue française du projet de loi, et ils s’opposent bec et ongles à ce que C-13 reconnaisse la loi 96 du gouvernement québécois, sous prétexte que ce faisant, le fédéral cautionnerait l’invocation de la disposition de dérogation.

L’ancien ministre Marc Garneau l’a clairement écrit, en anglais, sur son compte Twitter, samedi dernier.

« À la minorité linguistique anglophone du Québec, soyons très clairs : tant les conservateurs que les néo-démocrates vous ont abandonné [vendredi] en votant pour maintenir la loi 96 du Québec enchâssée dans la Loi sur les langues officielles du Canada, le projet de loi fédéral C-13 », a-t-il exprimé.

L’affaire a rebondi à Québec. Le ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, a déploré que « c’est une fausseté de penser que les gens de la minorité anglophone ne peuvent pas se faire soigner en anglais » depuis l’entrée en vigueur de la loi 96. « C’est complètement faux », a lancé M. Roberge.

Il faut lire la loi avant de la critiquer. Je vais laisser M. Trudeau gérer son caucus, mais l’essentiel c’est la protection du français, c’est la défense du français.

Jean-François Roberge, ministre de la Langue française

Malaise libéral

Réunis à l’édifice de l’ouest du parlement pour la rencontre hebdomadaire du Cabinet, mardi, les ministres du gouvernement Trudeau ont fait usage de prudence lorsqu’on les a invités à se prononcer sur ces déchirements à l’interne.

Le whip du gouvernement libéral, Steven MacKinnon, n’a pas commenté directement les critiques de son collègue ontarien ni la dissension au caucus. « La [modernisation de] la Loi sur les langues officielles, c’est un engagement de notre plateforme, et on entend la respecter », a-t-il affirmé en mêlée de presse.

Le lieutenant québécois Pablo Rodriguez a semblé inviter les députés montréalais à se rallier à la position du gouvernement. « Je m’attends à ce qu’on en discute, à ce qu’on en débatte, fine, mais qu’en bout de ligne, on aille de l’avant », a-t-il plaidé.

« C’est normal que ça soulève des passions de part et d’autre », a-t-il ajouté.

La ministre des Langues officielles, Ginette Petitpas Taylor, a refusé de jeter la pierre à qui que ce soit.

« Les membres du caucus puis les membres du comité font un travail qui est essentiel. C’est important de débattre de nos projets de loi et puis c’est important que nos députés [aient] l’opportunité de partager leurs points de vue », a-t-elle argué.

« Les membres du comité sont autonomes. On ne dit pas à nos membres quoi dire », a-t-elle ajouté.

Marc Garneau, Anthony Housefather et Emmanuella Lambropoulos ne sont pas des membres du Comité permanent des langues officielles. Cette dernière avait d’ailleurs été contrainte de démissionner du comité en 2020 après avoir nié l’existence du déclin du français, que son gouvernement venait de reconnaître.

Le bureau de la députée Lambropoulos n’a toujours pas répondu aux demandes d’entrevue de La Presse, ni aux questions sur les détails de l’histoire de la grand-mère de l’une de ses commettantes qui ne serait plus en mesure d’obtenir des soins médicaux en anglais depuis l’adoption de la loi 96.

Celle-ci comporte une exception sur la prestation de soins de santé : un professionnel de la santé « ne peut, dans l’exercice de ses activités professionnelles, refuser de fournir une prestation pour le seul motif qu’on lui demande d’utiliser la langue officielle dans l’exécution de cette prestation », prévoit la loi québécoise.

Des élus « envoyés au bat »

Le Bloc québécois a encore fait ses choux gras de l’affaire pendant la période des questions en Chambre, le leader parlementaire Alain Therrien reprochant au gouvernement « d’envoyer les députés du West Island au bat » et l’exhortant à rappeler à l’ordre ces élus « qui disent des faussetés » pour « diviser ».

À cela, le ministre Rodriguez a répondu que le Bloc québécois était « né pour diviser » et parlait « des deux côtés de la bouche » en matière de défense de la langue française.

« La chicane n’est pas au Bloc québécois, elle est dans son caucus ; qu’il se réveille », a riposté Alain Therrien, déclenchant un tonnerre d’applaudissements, y compris dans les banquettes conservatrices.

Le Comité permanent sur les langues officielles poursuit son étude de la mesure législative ce mardi.

Avec Fanny Lévesque, La Presse