L’annonce, il y a quelques jours par la ministre Karina Gould, de la réaffectation à temps plein des employés des centres d’appel qui traitent les demandes d’assurance-emploi est à mettre aux annales du bon sens et doit être saluée. Avec des milliers de travailleurs en attente de leurs prestations, la décision des hauts fonctionnaires du ministère de s’en tenir au budget coûte que coûte avait peu de sens.

Car, il faut le dire, le programme vit en ce moment une situation pour le moins inédite : au moment où les demandes de prestations sont au plus bas depuis 25 ans, le nombre de dossiers en déshérence est plus élevé qu’il ne l’a été depuis longtemps. Ces difficultés sont à la fois des effets de contexte et le résultat de décisions mal avisées.

La pandémie et ses effets sur le programme viennent au premier rang des causes. On se rappellera que face à la demande exceptionnelle en mars 2020, le programme aurait été incapable d’absorber le traitement des demandes. En moins de deux semaines, un programme parallèle (la PCU : prestation canadienne d’urgence) fut donc créé de toute pièce (un exploit qu’il faut souligner) pour remplacer l’assurance-emploi.

Depuis 2020, l’assurance-emploi a repris sa place, mais les changements de règles successifs ont créé une confusion non seulement chez les prestataires, mais aussi au sein même de l’appareil administratif.

De même, le passage de la PCU à l’assurance-emploi qui a généré a posteriori l’envoi de pas moins de 1,7 million d’avis de trop-payé, dont quelques dizaines de milliers sont à présent contestés par les prestataires, mobilise ainsi parmi les employés les plus expérimentés du ministère.

On ajoutera à cela les complications induites par le problème de vols d’identité qui ont été particulièrement nocives au Québec, affectant des dizaines de milliers de dossiers.

Les changements successifs de règles se sont ajoutés à un problème plus structurel du ministère : le taux de roulement élevé de sa main-d’œuvre qui a exacerbé la situation. Près de la moitié des employés qui travaillent dans les centres d’appel et au traitement ont été embauchés depuis la pandémie et ont dû faire leur apprentissage dans des conditions changeantes et difficiles. Toute personne qui connaît bien l’assurance-emploi reconnaîtra la (trop) grande complexité de ses règles. Il faut plusieurs mois à une nouvelle employée pour les maîtriser.

Un plan sur trois ans

À l’automne, la ministre responsable de Service Canada, Karina Gould, est allée chercher des crédits supplémentaires qui seront bien nécessaires pour venir à bout du problème, mais de l’avis même du Ministère, il faudra du temps au temps. Avec ces crédits, un plan s’étendant sur trois ans a été mis en place pour rétablir les choses.

Pour l’instant, le programme surnage.

Chaque jour, mon bureau reçoit les doléances de prestataires pris dans un trou noir administratif, ne sachant pas trop quand ils recevront leurs prestations. Plusieurs attendent encore des mois. En désespoir de cause, on rapporte que certains agents vont jusqu’à suggérer aux demandeurs d’aller dans les banques alimentaires… une situation inacceptable.

En faisant cet état des lieux des dégâts, on ne peut omettre de mentionner un facteur aggravant clé : le retour prématuré aux règles administratives usuelles décrété par la ministre des Finances dans son budget de 2022.

Décrétée pour des raisons strictement budgétaires, cette décision a mis à mal un appareil qui peinait à se remettre des effets de la pandémie. En cela, le gouvernement aura été son pire ennemi.

Il faut se rappeler qu’en 2021, le retour de la PCU vers l’assurance-emploi s’était fait dans le cadre de règles assouplies qui facilitaient le traitement des dossiers. La simplification des règles de l’assurance-emploi quant au traitement des montants dits de séparation (paie de vacances, indemnité de départ, etc.), des relevés d’emploi, du nombre d’heures pour se qualifier et du dénominateur permettait en effet de doubler le pourcentage de demandes pouvant être traitées automatiquement sans l’intervention d’un agent, générant ainsi un gain de temps et une meilleure utilisation des ressources humaines.

Dans un contexte où la ministre responsable de l’assurance-emploi, Carla Qualtrough, présidait simultanément à des consultations où l’enjeu de la simplification des règles du programme constituait un des principaux points de consensus de la part des intervenants, le maintien de ces mesures aurait dû aller de soi. Pour des raisons difficiles à saisir, ce ne fut pas le cas.

Il y a urgence de corriger cette erreur pour enlever la pression sur les ressources du ministère et accélérer la résolution de dossier des milliers de prestataires perdus dans les limbes administratifs, mais aussi parce que le programme a un pressant besoin de règles plus simples. Aurions-nous une nouvelle crise demain matin que le programme d’assurance-emploi, faute d’avoir tiré les leçons de 2020, serait sensiblement dans la même situation qu’en mars 2020.

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