En réponse au texte « Le pire cadeau pour ceux qui rêvent de paix », publié le 31 décembre dernier

Ferry de Kerckhove a raison de déplorer le retour de Benyamin Nétanyahou (personnage peu recommandable) à la tête d’une coalition d’extrême droite (encore moins recommandable que lui). Il me semble toutefois que son propos est quelque peu univoque. Non pas que les politiques d’Israël soient justifiées (elles ne le sont pas), mais M. de Kerckhove a tort de mettre tout le blâme sur Israël. Une condamnation, aussi méritée soit-elle, de ce pays se doit néanmoins de demeurer rigoureuse.

Il n’y a pas qu’en 2001 et en 2008 qu’un plan de paix proposant la création d’un État palestinien dans les frontières de 1967 fut proposé aux deux parties. Comme le souligne dans ses mémoires l’ancien secrétaire d’État américain John Kerry, en 2014, un plan de paix prévoyant la création d’un État palestinien dans les frontières de 1967 fut sérieusement discuté (deux versions furent présentées : la première à la mi-février par Kerry et la seconde à la mi-mars par le président Barack Obama lui-même).

Malheureusement, et contre toute attente, c’est le dirigeant palestinien Mahmoud Abbas qui a dit non (Nétanyahou a dit oui à reculons, mais il s’est d’abord assuré qu’Abbas s’y opposerait le premier, ce qui laisse planer un doute quant à sa soudaine et éphémère flexibilité).

M. de Kerckhove semble aussi accepter l’idée selon laquelle c’est un manque de temps ou l’instabilité politique israélienne qui a mis cause l’échec des négociations en 2000-2001 et en 2008. Or, presque tous les négociateurs palestiniens reconnaissent aujourd’hui qu’ils rejettent les « paramètres Clinton » de décembre 2000 qui prévoyaient la création d’un État palestinien sur plus de 97 % des territoires occupés, avec compensations pour les 3 % restants (Ahmed Qoreï, Akram Haniyeh, Ahmad Khalidi, Hussein Agha ou encore Diana Buttu, pour ne nommer que ceux-ci).

L’idée selon laquelle l’instabilité politique en Israël (comme la mise en accusation de l’ancien premier ministre Ehud Olmert en 2008) justifierait le rejet palestinien des plans de paix présentés à l’époque est difficile à défendre, d’autant plus que le président palestinien Mahmoud Abbas a perdu sa propre majorité parlementaire en 2006, ce qui l’empêche lui aussi de conclure tout accord de paix sans déclencher de nouvelles élections (sans oublier le fait qu’il a perdu le contrôle de Gaza en 2007 et que son mandat présidentiel a pris fin en 2009).

Avec ou sans gouvernement stable, autant en Israël qu’en Palestine, il aurait fallu déclencher de nouvelles élections ou un référé pour faire approuver un plan de paix (à moins de vouloir prendre le risque d’une guerre civile).

Malheureusement, tout comme les Israéliens, les Palestiniens refusent l’idée de deux États dans les frontières de 1967 comme solution définitive au conflit. Ils insistent toujours sur la reconnaissance d’un droit au retour réel et individuel pour tous les réfugiés palestiniens au sein de l’État hébreu. Certes, l’Autorité palestinienne affirme être très flexible quant à l’application de ce droit, mais advenant la reconnaissance d’un véritable droit au retour, rien n’empêcherait les réfugiés de saisir les tribunaux internationaux et d’obtenir gain de cause, relançant ainsi le conflit par des voies détournées.

De plus en plus d’anciens négociateurs israéliens et palestiniens (Yair Hirschfeld, Hussein Agha ou encore Gilead Sher) prônent désormais un accord partiel sur les frontières, qui laisserait en suspens la question des réfugiés et des lieux saints de la vieille ville de Jérusalem. Après tout, l’Accord du Vendredi saint en Irlande du Nord n’a pas mis fin au conflit entre catholiques et protestants, mais leur permet néanmoins de cohabiter pacifiquement depuis déjà un quart de siècle.

Toutefois, pour ce qui est du fond, Ferry de Kerckhove a raison. Israël s’enfonce dans l’irrédentisme, le racisme et la ségrégation. Peu étonnant que les forces vives de ce pays cherchent maintenant à s’exiler.

Il serait néanmoins relativement simple de faire tomber Nétanyahou : une alliance entre le centre gauche et les partis arabes le mettrait K.-O. Or, la moitié de l’électorat arabe continue de boycotter les élections et les partis modérés juifs refusent de leur donner satisfaction pour inverser la tendance (en reconnaissant le caractère multinational d’Israël, par exemple, plutôt que de cantonner les Palestiniens d’Israël au rang de minorité nationale au sein d’un État « juif et démocratique »). Peut-être qu’après quatre ans d’extrême droite au pouvoir réussiront-ils à surmonter leurs égos ?

Viendra ensuite le temps de concevoir une nouvelle manière pour les deux peuples de vivre ensemble. Il est de plus question de confédération aux frontières ouvertes (faisant écho à la souveraineté-association que prônait autrefois le Parti québécois de René Lévesque). De nouveaux modèles s’imposent, car visiblement, ni les Israéliens ni les Palestiniens ne semblent disposés à accepter un compromis territorial définitif et irrévocable, qui fermerait la porte à toute revendication future.

Comme l’a déjà souligné Tom Segev, l’un des principaux « nouveaux historiens » israéliens, qui ont mis à mal les mythes fondateurs de ce pays, l’identité des deux peuples est trop liée à ce territoire (dans sa totalité) pour qu’ils consentent à en être amputés d’une partie. On peut toutefois douter que ce conflit tragique qui oppose deux légitimités (un peuple qui n’avait d’autre choix que de s’installer sur cette terre pour survivre et un autre qui ne comptait pas se tasser pour régler un problème qui n’était pas le sien) prenne fin dans un avenir prévisible. Malheureusement, comme le disait Euripide : « L’amour de soi passe chez tout le monde avant l’amour du prochain. »

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