Quelques jours avant Noël, dans un geste sans précédent dans le monde du livre, la Direction nationale de santé publique a envoyé, par l’entremise de ses directions régionales, un avis à tous les milieux de l’éducation signé par la sous-ministre de la Santé pour leur demander de ne pas promouvoir ni proposer à la lecture le livre intitulé Le garçon aux pieds à l’envers, de François Blais.

Une direction régionale, celle de la Mauricie–Centre-du-Québec, est même allée plus loin en demandant de retirer les exemplaires déjà présents en milieu éducatif.

La gravité du geste commis par les autorités est dramatique : un organisme émanant de l’État, auréolé de crédibilité scientifique, a pris l’initiative de cibler un livre pour en condamner la lecture et l’usage en milieu éducatif. La langue française est riche de mots, dont certains sont lourds de sens, mais celui qui vient à l’esprit dans ce cas est « censure ».

Évidemment, il n’y a pas d’interdiction, mais la puissance du geste est de cet ordre. L’objectif est clair : éloigner cet ouvrage de lecteurs et lectrices potentiels.

Les motifs allégués par les autorités sanitaires sont troublants. Dans une argumentation biaisée et simplificatrice, on évoque la promotion du suicide et des méthodes pour y parvenir. Il s’agit d’une interprétation réductrice et navrante d’une œuvre riche et nuancée, inspirante et profonde qui doit être prise dans son ensemble. Nous réfutons avec force cette compréhension caricaturale de l’ouvrage, et nous nous inquiétons de l’effet pervers de la note émanant de la Santé publique qui impose une clé d’interprétation univoque et dangereuse. Ce faisant, les autorités promeuvent ce qu’elles dénoncent. De tous les professionnels qui ont travaillé à l’édition du livre et de tous les critiques qui en ont parlé de façon unanimement élogieuse jusqu’ici, aucun n’y a vu une menace à la santé publique. Il s’agit d’une œuvre de fiction, pas d’un essai ni d’un documentaire. Elle compte des aspects sensibles, certes, mais pas mortifères.

En fait, les autorités citent entre autres les causes du décès de l’auteur aux fins de leur démonstration. Elles s’autorisent ainsi à faire quelque chose que nous, la maison d’édition, dans un souci éthique, nous sommes abstenus de faire dans la promotion du livre : diffuser largement ce qui a conduit l’auteur à sa mort. Le contenu de la note contrevient aux « bonnes pratiques » qu’elle prescrit. Nous en sommes profondément affligés et troublés.

Le garçon aux pieds à l’envers doit être lu pour ce qu’il est : un livre, une œuvre littéraire, une fiction qui, comme des milliers de romans, se joue entre les fondamentaux de l’existence : l’amour, la camaraderie, la mort et la vie.

Toute cette affaire est inquiétante à plus d’un titre.

Comment les autorités de santé publique peuvent-elles justifier une intervention d’une telle force contre un ouvrage parmi des milliers publiés chaque année ? Ont-elles le luxe d’ouvrir un nouveau service de sélection des bons et des mauvais livres ? On croyait ces temps révolus.

Comment peuvent-elles justifier de se substituer à la compétence éducative des enseignantes, des bibliothécaires, des libraires spécialisés en littérature jeunesse ?

Pour notre part, nous faisons confiance à celles et ceux qui ont la pratique quotidienne du dialogue entre les univers littéraires et les jeunes lecteurs, et qui savent les accompagner dans leur croissance à tous égards.

On comprendra qu’on ne peut rester silencieux face à un tel dérapage préjudiciable à l’œuvre concernée, à la mémoire de son auteur, à la maison d’édition et à la chaîne du livre.

Souhaitons qu’en 2023, année qui s’annonce encore mouvementée sur le plan épidémiologique, la Santé publique retourne aux microbes, laissant aux éducateurs le soin de discerner pour éduquer, aux écrivains la liberté de créer et aux éditeurs celle de diffuser leurs œuvres.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion