L’Association québécoise pour la prévention du suicide (AQPS) prépare un guide des bonnes pratiques destiné aux auteurs de fiction. Dans une rare mise en garde, le ministère de la Santé demande aux professionnels du milieu scolaire de ne pas recommander le dernier roman jeunesse de l’auteur François Blais, qui aborde « de façon explicite » le suicide.

« Les gens qui publient ou diffusent des œuvres doivent être conscients qu’ils ont aussi une responsabilité à l’égard de leur public », souligne Jérôme Gaudreault, président-directeur général de l’AQPS.

Son association travaille sur un guide des bonnes pratiques pour les auteurs et les producteurs qui souhaitent aborder le sujet délicat du suicide dans leur œuvre.

« Ce n’est pas une posture de ne pas faire ceci ou cela, mais d’être conscient qu’il y a des risques », nuance-t-il.

Référence « explicite au suicide »

M. Gaudreault réagissait aux inquiétudes soulevées par les autorités de santé publique concernant le contenu du Garçon aux pieds à l’envers — Les chroniques de Saint-Sévère de l’écrivain François Blais, roman publié en octobre aux éditions Fides.

Destiné aux adolescents, l’ouvrage « fait référence à plusieurs reprises et de façon explicite au suicide, ainsi qu’à des moyens concrets pour y parvenir », indique un avis transmis le 16 décembre aux directeurs de santé publique régionaux, rapportait jeudi Le Soleil.

Les suicides sont abordés sous la forme « de jeux et de défis », et « aucune mention n’est faite quant à l’importance de demander de l’aide ».

Selon le ministère de la Santé, « la lecture du roman pourrait affecter les jeunes présentant des vulnérabilités ».

« Ces derniers pourraient notamment adopter des comportements suicidaires par imitation. Même dans le cas d’une fiction, les risques d’identification sont réels », indique aussi la lettre.

En conséquence, Québec demande aux professionnels qui œuvrent auprès des jeunes de ne pas recommander le roman, publié à titre posthume après le suicide de son auteur en mai dernier.

La tenue d’activités culturelles ou la réalisation de travaux scolaires sur l’ouvrage est aussi à éviter.

Risque connu

Le Ministère émet rarement ce genre de recommandations.

C’est arrivé par le passé avec le film de Yan England 1:54 et la série américaine 13 Reasons Why, rappelle le ministère de la Santé par courriel.

« Les moyens sont mis en place en fonction de la situation, ce peut être par des lettres aux partenaires, une communication avec le producteur, un appel à la vigilance », précise la relationniste Noémie Vanheuverzwijn.

Le risque est connu, et se nomme l’effet Werther : l’hypermédiatisation d’un suicide peut déclencher des suicides par imitation dans le grand public.

Dans le cas présent, un adolescent vulnérable pourrait s’identifier au personnage du roman qui se donne la mort, explique la professeure au département de psychologie de l’UQAM Cécile Bardon.

Si ce sont des objets culturels qui sont spécifiquement dédiés au jeune, le pouvoir d’identification est d’autant plus grand.

Cécile Bardon, professeure au département de psychologie de l’UQAM et directrice associée au Centre de recherche et d’intervention sur le suicide, enjeux éthiques et pratiques de fin de vie

Selon la professeure, les recommandations du Ministère s’accordent avec les bonnes pratiques en matière de prévention du suicide.

Quoi faire si son enfant rapporte un livre qui aborde le suicide à la maison ? Pas de panique, répond Mme Bardon. L’objectif est d’entamer un dialogue ouvert avec son jeune. Quelques exemples de questions à lui poser : « Comment te sens-tu par rapport à ce livre ? Est-ce que ça t’arrive de te sentir désespéré ? » « Ces œuvres existent et les enfants vont y être confrontés », prévient la professeure.

Par courriel, le Groupe Fides indique qu’un avertissement a été ajouté sur son site web, et qu’un avis sera inséré dans les exemplaires du livre en réponse à l’intervention du ministère de la Santé.

La maison d’édition estime toutefois « biaisée » l’interprétation des autorités de santé publique et dénonce la directive émise par Québec.

Il s’agit d’un acte de censure qui est préjudiciable à l’œuvre de l’auteur, à la réputation de la maison d’édition et, ultimement, aux lecteurs et lectrices.

Extrait d’un courriel envoyé par le Groupe Fides

« L’attention [est] portée sur un seul aspect, présenté hors contexte, dépouillé des assises humanistes du récit et qui occulte par le fait même les aspects inspirants, positifs et constructifs de l’œuvre », déplore-t-elle.

Données insuffisantes

Le professeur agrégé au département de psychiatrie de l’Université McGill Rob Whitley note de son côté que les données scientifiques sont insuffisantes pour conclure que les suicides fictifs dans les œuvres littéraires ont une influence sur le passage à l’acte.

Aucun enjeu de santé publique n’est résolu par le silence.

Rob Whitley, professeur agrégé au département de psychiatrie de l’Université McGill

M. Whitley croit plutôt qu’il est nécessaire de multiplier les activités de prévention du suicide dans les établissements d’enseignement, tant qu’elles mettent l’accent sur des messages d’espoir et les ressources d’aide.

« Une chose est certaine, c’est que les jeunes vont discuter de ces questions avec leurs pairs », souligne le chercheur senior au Centre de recherche Douglas.

Besoin d’aide ?

Si vous avez besoin de soutien, si vous avez des idées suicidaires ou si vous êtes inquiet pour un de vos proches, contactez le 1 866 APPELLE (1 866 277-3553). Un intervenant en prévention du suicide est disponible pour vous 24 heures sur 24, sept jours sur sept.

Consultez le site de l’Association québécoise de prévention du suicide