En réponse à l’éditorial d’Alexandre Sirois concernant la Loi sur la radiodiffusion, « Lâchez-nous avec la censure ! »1, publié le 26 novembre.

En réponse à l’éditorial d’Alexandre Sirois, j’aimerais prendre le temps de clarifier certains faits concernant le projet de loi C-11 et l’opposition des conservateurs du Sénat, qui relève de l’improvisation du gouvernement, de l’excès de discrétion accordée au CRTC et, surtout, de la réelle menace envers la liberté d’expression des Canadiens et la capacité de nos artistes et créateurs indépendants à gagner leur vie.

Je noterai d’abord que notre parti a toujours soutenu ce qui devait être le principe de base de l’ancien projet de loi C-10, c’est-à-dire de moderniser la Loi sur la radiodiffusion, notamment en obligeant les géants du web comme Netflix et Amazon à investir une plus grande part de leurs revenus en contenu canadien. Le gouvernement a eu droit à notre collaboration jusqu’au moment où il a choisi de modifier son propre projet de loi en comité afin de réglementer le contenu des utilisateurs des réseaux sociaux comme Facebook, YouTube et Spotify.

Avec le projet de loi C-11, le gouvernement et le CRTC pourront désormais intervenir dans les algorithmes des réseaux sociaux afin de décider quelles vidéos, téléversées par leurs utilisateurs, seront vues plus ou moins souvent selon le principe de la « découvrabilité ». Un gouvernement qui peut intervenir pour faire en sorte que presque personne ne puisse voir une vidéo téléversée par un utilisateur, ou qu’une autre vidéo lui soit préférée, pourrait facilement tomber dans l’abus de pouvoir. Il serait en mesure de restructurer des débats politiques et sociaux de la même manière qu’il cherche à restructurer les habitudes de consommation de plusieurs millions de Canadiens.

Cette mesure représente donc un véritable risque pour la liberté d’expression, comme l’ont souligné plusieurs experts, comme les professeurs de droit Michael Geist et Emily Laidlaw et l’ancien président du CRTC Konrad von Finckenstein. Même les fonctionnaires de Patrimoine Canada ont conclu qu’une exception pour le contenu des utilisateurs était nécessaire, dans un mémo envoyé à leur ministre en décembre 2020. Les libéraux qui nous accusent de démagogie dans ce dossier n’ont jamais réussi à justifier leur décision d’ignorer leurs propres experts et de modifier leur propre projet de loi.

S’il est adopté, le régime prévu dans le projet de loi C-11 sera unique au monde. Nul autre pays démocratique ne réglemente la découvrabilité du contenu des utilisateurs des réseaux sociaux. Plusieurs ont choisi d’exiger une plus grande contribution financière des géants du web au contenu local, mais toujours en protégeant les utilisateurs et les petites entreprises numériques. L’Union européenne avait adopté une définition beaucoup plus précise de ce qu’est un diffuseur numérique dans sa législation, tandis que l’Australie a fixé un seuil minimum de revenu nécessaire pour être assujetti à la réglementation. C-11 propose de réglementer une catégorie d’« entreprises en ligne » définie de manière si large qu’elle pourrait inclure n’importe quel individu ayant un site web et produisant des capsules vidéo.

L’aspect le plus négligé du débat entourant le projet de loi C-11 est celui de ses effets sur les créateurs et les artistes indépendants.

Les réseaux sociaux ne sont pas des chaînes télévisées. Les suggestions de vidéos qui apparaîtront sur la page YouTube de chaque utilisateur individuel se décident en fonction de ses choix précédents, et des programmes les plus populaires sur la plateforme ayant un contenu semblable. Par conséquent, un amateur de films québécois risque de voir énormément d’extraits de films québécois apparaître sur sa page, tout comme un amateur de cuisine risque de voir plus de recettes. Il est donc inutile de comparer la programmation des réseaux sociaux à celle des stations de radio des années 1950, comme le fait M. Sirois, et cette comparaison démontre à quel point l’élite culturelle et médiatique est déconnectée de la réalité des nouvelles technologies.

Il existe toute une génération de nouveaux créateurs et d’artistes canadiens qui gagnent leur vie principalement en produisant du contenu diffusé sur les réseaux sociaux à un marché international qui comprend des millions d’usagers. Plusieurs d’entre eux sont venus témoigner devant le comité que je préside au Sénat. Ils nous ont fait part de leurs inquiétudes face au projet de loi C-11. Certains ont suggéré que le processus d’accréditation pour être désigné comme « contenu canadien » plus « découvrable », conçu pour les grands studios, serait trop onéreux pour eux et les désavantagerait face à leurs compétiteurs. D’autres craignaient d’être désignés. Si les algorithmes imposés par le CRTC poussent leur contenu à des utilisateurs canadiens simplement parce qu’ils sont canadiens, peu importe leur degré d’intérêt pour le domaine ou le style de l’artiste, l’effet pervers pourrait être d’accroître les réactions négatives ou indifférentes à leur contenu, qui deviendrait donc moins populaire et moins visible auprès de tous les utilisateurs du réseau.

Les sénateurs conservateurs continueront de défendre les intérêts de ces artistes, et la liberté d’expression de tous les Canadiens.

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