Le regard qu’on pose sur notre milieu culturel et sur ce qui le menace manque de discernement.

Sinon, il y a de nombreuses années qu’on aurait, à Ottawa, modifié la loi sur la radiodiffusion pour protéger la culture contre le rouleau compresseur des géants du web.

Sinon, les acteurs du milieu culturel et leurs alliés n’auraient pas à faire de nouveau pression sur Ottawa ces jours-ci pour qu’on adopte la réforme en question, présentée une première fois par le gouvernement libéral… à l’automne 2020.

Sinon, nous n’aurions pas à publier cet éditorial pour exhorter les sénateurs à donner le feu vert au projet de loi.

Et nous n’aurions pas, non plus, à prendre la plume pour dénoncer la mauvaise foi du sénateur Léo Housakos, président du Comité sénatorial permanent des transports et des communications — celui qui examine actuellement la législation.

Non seulement profite-t-il de sa tribune pour dénoncer le projet de loi, mais il le diabolise en le dénaturant et en faisant la promotion d’une pétition où l’on crie à la « censure ». En lisant de telles allégations, nos yeux saignent.

La prémisse de ce projet de loi (C-11) est pourtant toute simple. Il s’agit d’exiger des géants numériques comme Google et Apple qu’ils fassent davantage de place à nos créateurs sur leurs plateformes.

Il vise aussi à forcer ces géants à utiliser une partie des sommes récoltées au Canada pour financer des productions d’ici.

Alors, quel est le problème ?

Il est de nature idéologique.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que pour certains politiciens canadiens (traduction : des conservateurs fédéraux, pour la plupart), défendre le libre marché est désormais devenu un dogme tel que notre souveraineté culturelle et notre souveraineté numérique sont secondaires.

On comprend aussi que pour certains politiciens, l’État ne devrait avoir aucun contrôle sur les multinationales qui rêvent de faire la pluie et le beau temps sur son territoire. Réglementer ? Oh, shocking !

On présume ainsi que si Léo Housakos avait été en politique quand les quotas ont été introduits pour favoriser la chanson francophone à la radio au Québec, il aurait déchiré sa chemise sur la place publique en accusant Ottawa de censurer les grandes vedettes américaines de la pop et du rock.

Car bien sûr, si on tord un bras aux plateformes pour qu’elles fassent plus de place à Roxane Bruneau et à Émile Bilodeau (sur Spotify ou Apple Music, par exemple), ces artistes viendront gruger un peu la part colossale attribuée par les algorithmes à Taylor Swift et à Harry Styles.

C’est vrai.

Mais ce n’est pas un problème. C’est une solution !

C’est en fait l’objectif central de la modernisation de la loi sur la radiodiffusion : corriger (un peu) les injustices provoquées par l’arrivée des géants du numérique qui ont toujours été prêts à tout casser pour imposer leur domination.

Est-ce que le projet de loi est perfectible ? Peut-être encore un peu, oui.

Peut-on atténuer encore davantage les craintes de certains individus qui produisent du contenu pour YouTube et qui se méfient des nouvelles règles du jeu ? Peut-être aussi.

Mais force est de reconnaître que ça fait deux ans qu’on examine cette législation (incluant C-10, le prédécesseur du projet de loi actuel) sous toutes ses coutures.

Ainsi, les sénateurs, dont plusieurs réclament de nouveaux changements avant d’aller hiberner, ont déjà entendu 134 témoins. Ceux-ci s’ajoutent aux 80 témoins rencontrés lors de l’examen effectué par la Chambre des communes.

Dans la foulée de cet exercice exhaustif, on vient de passer à l’étape des amendements au projet de loi… et d’apprendre que près d’une centaine devraient être déposés.

Pire, on constate que certains sénateurs ont décidé de tout faire pour ralentir, autant que faire se peut, l’adoption de ces amendements.

Or, on sait d’ores et déjà que lorsque le projet de loi sera enfin adopté par le Sénat, on doit s’attendre à un nouveau bras de fer législatif à la Chambre des communes.

Si ça continue, l’adoption de ce projet de loi sera plus complexe que l’obtention du laissez-passer A-38 par Astérix dans la maison qui rend fou.

Message d’intérêt public aux sénateurs qui se rebiffent et se rebellent : la procrastination ne figure pas dans votre définition de tâche.

Pratiquer l’obstruction pour des raisons idéologiques n’honore pas votre institution.

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