L’immigration compte parmi les grandes questions mondiales qui jalonneront le XXIe siècle. On estime que plus de 280 millions de personnes se trouvent aujourd’hui hors de leur pays de naissance, ce qui représente environ 3,6 % de la population mondiale. Si elles vivaient toutes dans le même pays, ce pays serait le quatrième pour la population, derrière la Chine, l’Inde et les États-Unis.

Nous avons appris récemment que le gouvernement fédéral désire augmenter le nombre d’immigrants qu’il compte accueillir au cours des prochaines années, pour atteindre 500 000 nouveaux arrivants en 2025⁠1. Évidemment, cette annonce a suscité plusieurs réactions, notamment du milieu économique et du gouvernement du Québec⁠2. Parmi les raisons sous-jacentes évoquées par ceux qui s’opposent à cette hausse du nombre de nouveaux arrivants annuellement est celle de la sécurité.

Ou plutôt l’insécurité que provoque l’immigration.

Il faut rappeler que dans l’histoire politique canadienne récente, la tendance à voir la question des migrations à travers la lunette de la sécurité prend racine au début des années 1990 – et non après les attentats du 11 septembre 2001.

Pour décrire ce phénomène, les chercheurs parlent de la sécurisation des migrations, c’est-à-dire le processus par lequel les migrations sont intégrées dans un système de sécurité qui met l’accent sur la défense et le contrôle.

Si dans certains pays, comme la France, la propension à lier l’immigration à la sécurité nationale, voire sociétale, est très forte dans les discours politiques, elle reste au Canada beaucoup plus timide. Rappelons par exemple que la France place en détention annuellement plus de 45 000 migrants alors que ce chiffre est d’environ 9000 migrants au Canada. Rappelons également qu’en France, le discours politique sur l’immigration est très souvent précédé par « le problème de », alors que l’immigration est plus largement discutée positivement au Canada.

La résilience

Mais un éclairage qui nous semble essentiel à ce stade-ci du débat est celui de la résilience.

La résilience, qui tire ses origines de la psychologie et de l’écologie, peut se définir comme le processus d’ajustements adopté par une société ou un individu faisant face à un ou des chocs afin de maintenir, marginalement modifier, ou transformer un objet de référence.

Être résilient, c’est parfois « rebondir » après un choc ; être résilient, c’est parfois saisir l’occasion d’un choc pour se renouveler.

Il est nécessaire de dépasser la tendance réductionniste d’associer la résilience uniquement à la section « développement personnel » d’une librairie. La littérature scientifique sur la résilience est maintenant omniprésente dans plusieurs disciplines, notamment en sciences sociales et en études internationales. De même, la résilience a été adoptée dans le contexte de la lutte contre le terrorisme : le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada, les Pays-Bas, la France et l’Australie ont tous publié des rapports officiels identifiant la résilience comme une stratégie ou un mécanisme de défense nationale. En 2020, l’opération militaire française déployée pour aider à contrer le coronavirus a été baptisée Résilience.

La résilience offre des pistes de réflexion utiles, particulièrement en distinguant trois types : la résilience comme maintien du statu quo, la résilience en tant qu’ajustement marginal et la résilience comme moteur d’un renouvellement. Il ne s’agit pas ici d’établir une évolution normative entre la résilience de maintien et la résilience de renouvellement. Et l’une ne mène pas nécessairement à l’autre.

Une société craignant qu’une immigration massive ne bouscule radicalement les fondements de son identité collective pourrait privilégier le maintien du statu quo et, ce faisant, accepter largement la lecture sécuritaire de l’immigration proposée par certains. La survie de l’objet de référence (l’identité collective) serait ainsi protégée par une stratégie de résilience (visant le maintien du statu quo) face à un choc exogène (immigration). Pour survivre, il faut maintenir.

À l’inverse, une société pourrait opter pour une stratégie de résilience comme moteur de renouvellement en faveur d’une redéfinition de la façon de concevoir l’enjeu en question. La survie de l’objet de référence (l’identité collective) serait ainsi assurée par le renouvellement de la façon de voir l’enjeu porteur de menace potentielle (immigration) – et non par le maintien du statu quo ou la recherche d’une situation existante dans le passé collectif vers laquelle une société aimerait « retourner ». Pour survivre, il faut se renouveler.

En somme, le débat à venir, par exemple sur le seuil « acceptable » du nombre d’immigrants, sur les rapports de force fédéral-provincial en matière de pouvoir politique, sur le déclin démographique et sur la pénurie de main-d’œuvre qui accompagnera l’annonce fédérale et les diverses réactions, gagnerait à être abordé par une approche de résilience.

1. Lisez l’article de Joël-Denis Bellavance sur l’immigration 2. Lisez l’article de Hugo Pilon-Larose sur la réaction de Québec Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion