(Québec) À peine sorti d’une campagne électorale où l’enjeu de l’immigration l’a suivi comme un boulet, François Legault doit à nouveau défendre sa promesse que le Québec accueillera 50 000 immigrants par année tout au plus, même si le fédéral compte ouvrir les portes du pays à 500 000 nouveaux arrivants en 2025.

À son arrivée au Parlement mercredi, le premier ministre a une fois de plus affirmé qu’il avait fixé la barre à 50 000 afin de « s’assurer qu’on arrête de voir le pourcentage de francophones diminuer au Québec ».

« Il va falloir que [Justin] Trudeau, [Pablo] Rodriguez et puis les gens à Ottawa comprennent qu’on a un défi et qu’on veut garder le français à long terme », a dit M. Legault. Peu de temps après sa mêlée de presse, La Presse révélait que le gouvernement du Québec utilisait une infime partie des fonds que lui transfère Ottawa chaque année pour franciser et intégrer les immigrants sur son territoire.

Durant l’exercice financier 2021-2022, 697 millions ont été versés par le fédéral à Québec en vertu de l’Accord Québec-Canada sur l’immigration. Le gouvernement Legault a investi 168,2 millions de cette somme (versée sans condition) pour les services de francisation, selon son dernier exercice financier.

Le Québec destiné au déclin démographique ?

Si Ottawa augmente l’immigration à 500 000 nouveaux arrivants en 2025, mais que le Québec ne suit pas cette croissance quant à ses propres seuils, le poids démographique du Québec au pays diminuera. Cela aura-t-il pour conséquence de faire en sorte que le poids politique de la province décroît avec le temps à la Chambre des communes ?

À cette question précise, M. Legault et sa nouvelle ministre de l’Immigration, Christine Fréchette, ont cité des « garde-fous », sans clairement les préciser, qui existeraient pour contrer cette conséquence.

« Il y a des façons de prévenir ça. Il y a quand même des garde-fous qui existent. Il faut probablement en ajouter, mais il faut continuer de reconnaître que le Québec, c’est une société distincte, c’est une nation et dans ce sens-là, il y a des pouvoirs importants qu’on a et qu’on doit garder, et on doit en ajouter », a dit M. Legault.

« On s’en remet à un engagement du premier ministre canadien sur cette nécessité d’assurer une représentation stable du Québec à la Chambre des communes. C’est sur quoi on se repose. […] Les oppositions [à Ottawa] aussi sont dans cette perspective-là. Pour nous, c’est rassurant », a plus tard affirmé la ministre de l’Immigration, Christine Fréchette.

Ottawa a légiféré au printemps dernier en adoptant le projet de loi C-14 qui établit que le nombre de députés attribué à une province à la Chambre des communes « ne peut être inférieur au nombre de députés qui lui était attribué ». Le Québec ne perdra donc pas de sièges, à l’issue de chaque recensement, mais les provinces dont le poids démographique augmente en auraient des nouveaux.

La question du seuil

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Christine Fréchette

Pour sa première mêlée de presse à titre de ministre de l’Immigration, Christine Fréchette a défendu mercredi le seuil de 50 000 immigrants par année établi par le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ). S’il n’existe aucune étude pour établir quelle est la capacité d’accueil réelle du Québec, Mme Fréchette a expliqué que ce chiffre avait été choisi en fonction de la capacité de francisation de la province, particulièrement en région, et des logements disponibles.

« C’est basé sur notre capacité à accompagner les gens en matière de francisation, notamment. […] On sait qu’il y a des enjeux aussi au niveau immobilier. Il faut faire en sorte qu’on puisse loger les immigrants que l’on reçoit. On veut d’ailleurs régionaliser notre immigration et il faut faire en sorte de s’assurer d’avoir la capacité d’accueil adéquate en région », a dit Mme Fréchette.

Le gouvernement Legault, qui réclame plus de pouvoirs de la part d’Ottawa en matière d’immigration, entend « utiliser tous les leviers possibles pour faire en sorte d’atteindre le maximum de pourcentage de nos immigrants qui soient francophones », a ajouté la ministre. Quant au fédéral, elle espère que son homologue, le ministre Sean Fraser, a un plan pour démontrer comment il entend accueillir 500 000 nouveaux arrivants sans diminuer le poids du français au Canada.

« J’ai senti la semaine dernière avec le ministre Fraser une sensibilité importante pour le fait français. Il avait d’ailleurs pris des cours de français au cours des derniers mois [et] nous avons échangé entièrement en français durant notre rencontre. J’espère que cette sensibilité-là va se traduire également dans le plan d’action que va nous présenter le gouvernement canadien pour faire en sorte qu’on ait suffisamment d’immigrants francophones. […] J’ai hâte de voir le plan », a dit Mme Fréchette.

Pénurie de main-d’œuvre

François Legault a pour sa part rappelé mercredi que Québec solidaire (QS) est le parti qui proposait le seuil d’immigration le plus élevé lors de la dernière campagne électorale, à 80 000 nouveaux arrivants par année. « Là, si vous faites un petit calcul, 23 % de 500 000, on serait presque au double de ce que le parti qui en propose le plus que ça représente », a-t-il dit.

En conférence de presse à Montréal, le nouveau porte-parole du Parti libéral du Québec (PLQ) en matière de Finances, Frédéric Beauchemin, a rappelé que son parti était en faveur d’accueillir jusqu’à 70 000 immigrants, puis d’établir ce seuil en fonction des besoins du marché, particulièrement en région.

Certes, son parti s’inquiète de voir le poids démographique du Québec diminuer au sein du Canada, mais sa porte-parole en matière d’emploi, Madwa-Nika Cadet, juge que « n’importe quel parti qui pense qu’il faut baisser les seuils [d’immigration] se disqualifie en matière de réponse à la pénurie de main-d’œuvre ».

« Tout à fait [ça nous inquiète], [mais] en raison de la pénurie de main-d’œuvre, nous on a toujours trouvé important de hausser nos seuils. Mais la question est à savoir qui doit prendre cette décision, et nous on pense que c’est au Québec de prendre cette décision », a-t-elle ensuite expliqué.

À Ottawa, le premier ministre Justin Trudeau a pour sa part affirmé que « le Québec a depuis longtemps la capacité d’augmenter ses seuils d’immigration ».

« Je sais que chaque fois que je parle à des propriétaires d’entreprises à Montréal ou en région, ils soulignent à quel point c’est important de contrer la pénurie de main-d’œuvre », a-t-il dit.

« Je comprends qu’il y a des objectifs économiques et que le patronat serait ouvert à ça, mais il reste qu’ici, on a un défi spécial au Québec [qui est de] garder et de promouvoir le français et de s’assurer qu’on arrête de voir le pourcentage de francophones diminuer au Québec », a répliqué de Québec M. Legault.

Avec Vincent Larin, La Presse